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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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elle murmura :
    —    Pour toi, cela aura-t-il des conséquences sérieuses ?
    —    Voyons, ce n'est pas le moment de faire les comptes, avec toutes ces victimes.
    La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, demeura un instant silencieuse, puis articula enfin :
    —    Crois-tu vraiment que si j'avais le choix entre ta ruine et la vie de ces personnes, j'hésiterais une seconde? Mais ce genre de supputation ne change rien à la réalité: elles sont mortes. Je préfère m'occuper des questions sur lesquelles nous possédons un certain contrôle.
    Thomas se leva pour aller remplir son verre de nouveau. Cette fois, il songea à lui demander des yeux si elle désirait quelque chose, puis regagna sa place avant d'admettre :
    —    Comme de très nombreux investisseurs à Québec, des amis et des relations d'affaires, je viens de dire adieu à une masse d'argent.
    —    Tes collègues t'en voudront-ils de les avoir entraînés dans cette aventure ?
    —Je ne crois pas. Je n'ai pas été l'animateur de toute cette entreprise. Simon-Napoléon Parent, toutefois...
    L'ancien premier ministre de la province s'était imposé comme le principal dirigeant de la Société du pont de Québec. Tous ceux à qui il avait susurré à l'oreille que cet investissement se révélerait extraordinairement rentable lui feraient certainement grise mine au lever du soleil. Le commerçant figurait parmi ceux-ci. Tous n'admettraient pas facilement qu'une entreprise de ce genre comportait des risques inhérents.
    —    On ne lui en voudra peut-être pas personnellement, renchérit-il après une pause, mais la prochaine réunion du Parti libéral se déroulera dans un climat plutôt morose. C'est parmi ses membres les plus importants que les investisseurs ont été recrutés.
    Élisabeth vida son verre, le posa sur un guéridon, avant de commenter encore :
    —    La société d'ingénierie américaine possédait certainement de bonnes assurances.
    —    Elles suffiront peut-être à couvrir les frais nécessaires pour dégager ce grand gâchis.
    —    Tu es sérieux ?
    —    Evidemment. La Société devra débarrasser le fleuve de cette ferraille. Actuellement, je crains que les navires d'un tonnage respectable ne puissent même plus remonter au-delà de Québec. Si les assurances ne suffisent pas, ce seront de nouvelles pertes pour les actionnaires.
    Le silence s'installa encore entre eux, puis elle revint avec sa question du début :
    —    Pour toi, quelle sera l'ampleur des conséquences ?
    —    Depuis l'élection de Wilfrid Laurier à Ottawa, puis celle de Marchand à Québec, j'ai fait quelques profits importants grâce aux informations dont je disposais.
    La jeune femme exprima sa compréhension d'un signe de tête. Son mari avait pu spéculer sur quelques terrains, se mêler de la construction de certains équipements de service public, vendre des fournitures de bureau à divers organismes. Ce genre de patronage faisait partie des mœurs politiques. Parfois, cela devenait franchement ridicule. Au moment où le capitaine Bernier s'apprêtait à partir pour son expédition d'exploration des mers situées au nord du Canada, la rumeur voulait que le gouvernement ait acheté suffisamment de vivres à de bons amis du Parti libéral pour lui permettre de naviguer pendant des siècles.
    —    Ces profits sont maintenant à l'eau, c'est le cas de le dire, conclut l'homme d'une voix grinçante.
    —    Cela changera-t-il quelque chose pour nous?
    Elisabeth entendait savoir si ce malheur modifierait leur mode de vie.
    —    Après avoir un peu diversifié mes activités, je redeviens simplement le premier marchand au détail de la ville. Nous ne devrions cependant pas voir de différence.
    Après une nouvelle pause et une large lampée de cognac,
    Thomas ajouta avec un demi-sourire :
    —    Pour ses vingt ans, la princesse Eugénie aura droit à son voyage en Europe... malgré les horreurs qu'elle a dites sur toi.
    —    Dieu merci ! murmura la jeune femme. Sinon, la situation deviendrait intenable.
    —    Tu as raison. Toutefois cela me répugne. J'ai l'impression de payer pour la faire taire.
    Elisabeth doutait que les hasards des affaires puissent justifier, aux yeux de la fille aînée, le sacrifice de cette tournée européenne. Ce voyage initiatique représentait le couronnement de l'éducation des jeunes gens de bonnes familles de Québec, avant l'entrée dans la vie

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