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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Évidemment, la construction d'un pont à Québec, tout comme celle d'un second chemin de fer national, devra s'inscrire dans une politique de transport raisonnée. Elle sera réalisée par des gens dont la compétence professionnelle et la probité ne feront aucun doute, et cela sans égard à leurs affiliations politiques! L'improvisation et les expédients des libéraux ont fait leur temps.
    Les applaudissements reprirent, plus tonitruants que précédemment. Le lendemain, les journaux conservateurs de la ville, l'Evénement et le Chronicle, souligneraient la stature de chef d'Etat de Robert Laird Borden. Même le très libéral Soleil conviendrait de l'honorabilité des paroles du chef de l'opposition, sans se priver de rappeler que l'histoire enseignait qu'au chapitre de la compétence et de la probité, aucun tory ne pouvait se permettre de donner de leçon.
    Vers dix heures, Alfred Picard sortit de la salle enfumée, tout aussi libéral qu'au moment d'y entrer, comme la plupart des habitants de Québec. L'odeur du crottin et de l'urine de cheval, particulièrement prenante à cet endroit, ne flattait pas ses narines. Sur le trottoir, il demeura un moment immobile, hésitant. Le YMCA se trouvait sous ses yeux, juste de l'autre côté de la rue. Mais s'y rendre directement attirerait l'attention : certains de ses voisins sortaient eux aussi du marché Montcalm. Mieux valait s'engager dans la rue Saint-Jean et continuer jusqu'à l'intersection de la rue Couillard, puis prendre la rue Hamel.
    Là se trouvait la Salle de quilles et de billard de Québec. La faune des mauvais garçons hantant ce commerce fournissait de nombreuses possibilités de loisirs illicites. Ensuite, cinq minutes lui suffiraient pour rentrer à la maison. Et puisque sa chambre se situait à l'arrière, il pouvait y entrer directement depuis l'escalier de service qui permettait d'accéder à la cour. Sauf la vieille domestique, Gertrude, au courant de toutes ses frasques, nul ne saurait à quelle heure, ni dans quel état, il regagnerait ses pénates.
    —    Édouard se trouve dans quel état, maintenant ? questionna Thomas.
    L'homme portait une vieille robe de chambre. Passé onze heures, il sortait de son bain. Il prit le soin de se verser un grand verre de cognac, avant de prendre place dans l'un des deux fauteuils voués aux conciliabules, dans un coin de la bibliothèque. Donnant sur la rue, la vaste pièce lambrissée de noyer se trouvait juste en face du grand salon. Le commerçant passait de longues heures à travailler là, ou à discuter avec des personnes mêlées à ses affaires ou à la politique.
    —    Avec ce que le docteur Caron lui a donné, répondit sa femme, il devrait dormir jusqu'à midi, demain.
    A son arrivée à la demeure familiale, le garçon était resté agité de sanglots incontrôlables, tellement qu'Elisabeth avait jugé préférable de téléphoner à ce médecin du voisinage.
    —    Cela a été si terrible ? demanda-t-elle après une pause.
    —    Un gamin de son âge est mort dans ses bras, noyé. Nous avons été incapables de le dégager de cet amas de ferraille.
    —    Mon Dieu, c'est épouvantable ! Nous l'aurons à l'œil, les prochains jours.
    La jeune femme se leva pour aller se verser un verre de sherry.
    —    Désolé, murmura Thomas, je n'ai pas pensé à t'offrir quelque chose, tout à l'heure.
    Elle adressa un sourire à son mari pour l'excuser de cet accroc aux usages, revint vers le fauteuil avant de demander encore :
    —    Les victimes sont nombreuses ?
    —Je ne peux pas le savoir avec exactitude, les journaux donneront le décompte demain. Des dizaines sans doute. Près de la rive nord, il y en a eu une dizaine, d'après ce que j'ai constaté. Mais l'effondrement s'est produit près de la rive sud. Là-bas, personne n'a sans doute eu le temps de se sauver.
    Après avoir entendu la description de la longue structure écroulée dans le fleuve, la jeune femme pensa que ce soir, de très nombreuses personnes gardaient pour tout linceul un amas de poutrelles tordues.
    —    ... Comment une chose pareille a-t-elle pu se produire ?
    L'homme haussa les épaules pour exprimer son ignorance,
    puis affirma :
    —    Des accidents surviennent sur tous les chantiers.
    —    Mais pas de cette ampleur !
    À l'horreur de cette situation s'ajoutait un autre sujet de préoccupation. Sa pudeur l'empêcha un long moment de formuler sa pensée à haute voix. A la fin,

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