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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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une véritable veillée funèbre dans le salon de la maison familiale.
    —    Nous avons eu une chance de cocu, commenta Edouard au sujet de la remarque précédente. Ce qui est remarquable, parce que je suis célibataire et que ma belle-mère, je le jurerais, est l'épouse la plus fidèle au monde. Tu crois au destin ?
    —    Oui, je suppose.
    —    Ah ! Le voici. Eh bien moi, je n'y crois pas du tout.
    Il s'arrêta devant une caisse semblable aux autres. Elle contenait un adolescent aux cheveux blonds un peu trop longs. Le séjour de quelques heures dans l'eau n'avait pas vraiment altéré ses traits. Ses parents le reconnaîtraient sans peine. A mi-cuisse, le pantalon lacéré laissait entrevoir le muscle déchiré, là où une imposante poutrelle l'avait maintenu dans la boue. Un angle anormal laissait deviner un fémur brisé, peut-être les deux.
    —    Tu vois, ce gars est mort en me serrant les deux bras.
    Edouard releva un peu sa manche droite afin de montrer les
    marques bleutées visibles sur sa peau. Des larmes coulaient sur ses joues.
    —    Pourquoi lui, et pas moi ? Un coup du hasard. Le destin ou la volonté de Dieu n'ont rien à faire dans cette histoire. Je me trouvais les deux pieds sur les madriers et lui peut-être dans la structure, à placer des rivets. Tu savais que ces hommes devaient terminer leur journée de travail à six heures ? Vingt minutes plus tard, et ce pont tombait sans faire de victimes.
    Une longue pause suivit ces remarques, pendant laquelle il posa un genou sur le sol pour regarder le visage du noyé de
    près.
    —    Mon père, en homme raisonnable, a commencé à courir quand le sol a tremblé sous ses pieds, puis il s'est posé des questions ensuite. Tu aurais dû voir la scène : il courait en me tirant l'épaule et en hurlant aux autres de déguerpir. Ces gens se regardaient entre eux sans bouger, incrédules, comme si leur beau Meccano se trouvait à l'abri de tout.
    Frank Hornby avait mis au point ce jeu de construction dès 1898. Edouard en avait commandé lui-même quelques centaines d'exemplaires sous cette nouvelle marque de commerce quelques semaines plus tôt, en prévision des emplettes de Noël.
    —    Tu as subi un choc, commenta son compagnon... Tu devrais rentrer chez toi.
    —J'ai subi un choc, à ce sujet tu as raison. Mon chemin de Damas, en quelque sorte. Tu me vois en saint Paul ?
    Fernand répondit d'abord par un sourire, un peu rassuré par le retour au galop du naturel chez son compagnon, puis ajouta :
    —    Si tu te mets à prêcher, ou à écrire des lettres aux Ephésiens, je te conduis moi-même à l'asile Saint-Michel-Archange.
    —    Mon sermon sera très court, alors réprime ton instinct médical. A tout moment, toi ou moi pouvons nous trouver dans une boîte, comme ce type. Aussi à l'avenir, j'entends bien ne perdre aucune occasion de profiter de l'existence. Ce serait trop bête de remettre à demain les plaisirs dont je peux profiter aujourd'hui.
    —    Oh! Tu entends maintenant te livrer à une vie de débauche ?
    Edouard laissa échapper un ricanement bref. Il se releva après avoir replacé une mèche de cheveux collée au front du grand adolescent, puis précisa :
    —    Pas nécessairement. Tous les plaisirs ne sont pas défendus.
    —    Pourquoi me racontes-tu cela ?
    —    Pour ton édification.
    Les garçons continuèrent brièvement de se déplacer dans la salle, s'arrêtèrent devant un cadavre vêtu d'un costume plutôt mal coupé.
    —    Sans doute un technicien ou un ingénieur américain. Sais-tu que dix-sept victimes venaient de ce pays ?
    —    Sortons d'ici, bon sang, gronda son ami. J'en ai assez.
    —    Si tu le prends sur ce ton, d'accord.
    Ils regagnèrent la porte principale. L'employé municipal leur demanda, moqueur :
    —- Et ce cousin ?
    —    Nous ne l'avons pas vu, rétorqua Edouard.
    —    Il y a encore des cadavres chez le croque-mort Lépine. Nous avons manqué de place, ici.
    —    Alors nous nous précipitons chez Lépine...
    Une fois sur le trottoir, Fernand recommença, emphatique :
    —    Si tu continues ce jeu idiot, ce sera sans moi.
    —    J'ai vu la personne que je désirais voir. Tu viens manger au magasin ?
    —    Tu pourras avaler quelque chose après cela?
    L'incrédulité fit place à un regard amusé. Le caractère
    fantasque de son ami, sa capacité de s'amuser de tout faisaient de lui le compagnon le plus

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