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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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maison Béthanie, le refuge où de malheureuses célibataires se rendaient accoucher, se dressait tout près, dans la rue Couillard.
    Derrière elle, une porte s'ouvrit. La lumière, restée allumée dans la chambre de la domestique, éclaira la pièce indirectement.
    —    C'est un homme bon, murmura Gertrude, qui vous aime. Mais il ne peut s'en empêcher.
    —    L'autre possibilité pour moi, c'était là-bas. Je ne peux pas lui en vouloir.
    Marie désigna la fenêtre d'un geste vague. La femme d'une cinquantaine d'années claudiqua jusqu'au gros poêle de fonte, approcha la main de la surface pour vérifier la chaleur.
    —Je peux faire un peu de thé, si vous le désirez.
    —    Non, si je veux finir par dormir, je dois m'en tenir à l'eau.
    Gertrude marcha vers une table poussée contre le mur, s'assit sur une chaise. Marie la rejoignit, confessa après un long silence:
    —Je ne manque absolument de rien: des enfants, un bel appartement, un commerce prospère... A l'église Saint-Roch, je compterais parmi les femmes les mieux habillées, après les dames Brunet, Laliberté, et quelques autres, bien sûr.
    —    Vous seriez la plus jolie, c'est certain.
    —    Il ne me manque qu'un petit quelque chose, ricana-t-elle après une nouvelle pause. Un véritable mari.
    —    Ce petit quelque chose vous coûte beaucoup.
    L'infirme était entrée en service dans la famille de
    Théodule Picard alors qu'elle avait dix ans, et Alfred trois ou quatre. Rien, de la vie de chacun des membres de la maisonnée, ne lui avait échappé au cours des quatre dernières décennies.
    —    C'est ridicule. Les trois quarts des femmes de Québec changeraient sans hésiter de place avec moi. Nous n'avons pas eu une seule dispute, ces dix dernières années.
    —    Ni de réconciliation. Les deux s'annulent sans doute.
    Marie vida son verre, alla le poser dans l'évier. Debout,
    les yeux de nouveau sur la maison Béthanie, elle demanda :
    —    Vous n'avez jamais eu envie de vous marier ?
    Gertrude souleva un peu sa jupe, regarda sa jambe déformée à cause d'une fracture mal réduite par un rebouteux de village, puis conclut d'une voix grinçante :
    —    Les candidats ne se sont pas bousculés, croyez-moi.
    —    Cela ne vous manque pas ?
    —    C'est comme les huîtres : difficile de regretter un mets que l'on ne connaît pas.
    Un sourire effleura les lèvres de la marchande. Elle murmura : «Je dois être un peu trop gourmande. Je vais tenter de dormir un peu. Bonsoir. » Dans le couloir, elle hésita quelques secondes. Si ses enfants désiraient contempler la rue un moment, autant les laisser agir à leur guise. La tension qui accompagnait les incartades de leur père les troublait aussi.
    Le marché Montcalm se trouvait enclavé entre les rues d'Youville et Saint-Jean, tout près des vieux murs de la ville. Longtemps, la porte Saint-Jean avait imposé sa silhouette massive à proximité. Mais en 1897, au moment de l'électrifi-cation du tramway, les services municipaux l'avaient détruite pour permettre aux «petits chars» de passer. Certains parlaient d'une reconstruction éventuelle, pour compléter l'ensemble des fortifications qui ne servaient plus qu'à attirer les touristes. Bien du temps passerait encore avant la réalisation de ce projet.
    Le marché public comptait deux divisions. Au sud de la rue Saint-Jean se trouvait un large espace dégagé où, certains jours de la semaine, des agriculteurs venaient proposer leurs marchandises aux citadins. Au fond de celui-ci, un grand édifice construit en pierres de taille accueillait quelques commerces permanents, dont un boucher et un boulanger qui répondaient tous les jours à la demande des ménagères. En soirée, cette bâtisse fournissait un espace où deux cents personnes au moins, en serrant les rangs, pouvaient se réunir.
    Alfred Picard constata tout de suite qu'il ne serait pas nécessaire de s'écraser mutuellement les pieds. Tout de même, dans une forteresse libérale, cent cinquante messieurs se trouvaient rassemblés pour entendre le chef du Parti conservateur du Canada. L'assistance se répartissait à peu près également entre vieux nostalgiques de l'ère de John A. Macdonald et jeunes gens déçus des compromissions de l'équipe au pouvoir. Tous étaient curieux de voir ce politicien originaire de la Nouvelle-Ecosse, original au point de promettre, s'il gagnait les élections prévues pour l'année suivante, de

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