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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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comment continuer. Tous ses paroissiens ne comprenaient pas l'anglais, une leçon de vocabulaire les aiderait à mieux saisir la leçon : «C'est un collège, une association, une congrégation de jeunes filles américaines qui se sont consacrées au baseball.»
    Chacun saisirait la métaphore: les Canadiennes françaises, elles, se consacraient à Dieu dans les ordres religieux, ou plus modestement dans des confréries pieuses, comme les Enfants de Marie. Le vocabulaire anglais, maintenant: « Le mot Star nous laisse rêveur, et Bloomer Girls signifie beaucoup de choses. On peut raisonnablement penser que tout cet assemblage de syllabes veut surtout dire ceci: des femmes en culottes. » Le bon abbé n'aurait pas fait un excellent professeur de langue, avec des définitions si emberlificotées.
    La difficulté, pour un prêcheur, était de ne pas faire naître des images dangereuses dans des esprits innocents au moment de pourfendre le mal. Bloom signifiait «éclore». Tout de suite venait à l'esprit l'image d'un bouton de fleur s'ouvrant au soleil, répandant son odeur, recevant les insectes pollinisateurs. Une bloomer, c'était une jeune fille devenant femme... Et les mauvais livres présentaient le sexe féminin comme une fleur de chair, offerte...
    L'abbé Buteau ferma les yeux un moment, aspira une goulée d'air, murmura «Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous... » Au terme de la prière, un peu rasséréné, il tendit la main pour sentir sous ses doigts une statue de plâtre représentant la Vierge. Son prédécesseur dans cette paroisse, monseigneur Gauvreau, plaçait cette représentation pieuse sur une tablette fixée au mur, un lampion allumé devant elle. C'était un vieil homme. Dans la force de l'âge, le nouveau curé préférait l'avoir toujours près de lui, à portée de main.
    La vague de dégoût se retira, le prêtre ouvrit les yeux de nouveau. Mieux valait s'en tenir à un aspect moins délicat de cette mascarade pitoyable: «Cette définition, les femmes en culottes, c'est même sans doute, après tout, la plus exacte; c'est assurément celle qui respecte le mieux la bizarre mentalité de ces filles excentriques.» Lui aussi savait utiliser des mots à la signification ambiguë. Au mot «filles», ses ouailles ajouteraient spontanément «de mauvaise vie». Inutile de se donner la peine d'être plus explicite et d'encourir ainsi les reproches d'esprits... avancés.
    Convenait-il de revenir encore sur la seconde phrase du sermon, ou laisser celle-ci à l'interprétation des fidèles? Le second choix prévalut finalement, le prêcheur se priva du plaisir de les traiter d'hommasses, de monstres contre-nature qui bafouaient la volonté de Dieu en affectant une masculinité qu'il ne leur avait pas consentie. De plus, ces femmes dénaturées rabaissaient au niveau des castrats les hommes qui s'extasiaient devant leurs prouesses.
    Cette dernière image de l'homme amoindri, l'abbé devait la reprendre. Ce serait cependant d'une manière fine, qui ferait sourire ses fidèles toujours virils et ferait rougir les autres : « Et l'on pouvait voir des hommes, des jeunes gens de Québec tombés en quenouilles, et s'amusant à lancer des balles avec ces filles d'Amérique. »
    Un petit coup discret se fit entendre contre la porte et une religieuse revêche, toute de brun vêtue, avec sur la tête une coiffe qui ne laissait voir aucun de ses cheveux, pénétra dans la pièce.
    —    Monsieur le curé, je vous apporte un petit dessert. Tout à l'heure, vous avez quitté la table bien vite, et je sais ce que vous appréciez.
    —    Merci, sœur Saint-Jean-du-Rosaire. Je voulais commencer ce sermon tout de suite, alors que mes idées se bousculent dans ma tête.
    Il y avait les pécheresses qui revêtaient une culotte pour lancer des balles, et les saintes femmes dont on cachait la féminité sous des robes de bure et un prénom masculin. Ainsi affublées, elles pouvaient sans risque côtoyer les saints hommes.
    La religieuse versa un peu de thé dans une tasse de porcelaine, plaça l'assiette à droite de la feuille de papier blanc maintenant à moitié écrite, puis se retira en murmurant :
    — Bonsoir, monsieur le curé. Ne travaillez pas trop tard. L'homme commença par prendre une bouchée du morceau de gâteau au chocolat, laissa le sucre se dissoudre lentement dans sa bouche avant de retrouver sa plume pour entrer dans le vif du sujet: la gangrène venue du pays

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