La belle époque
...Je... comprends, balbutia le fonctionnaire.
— Alors lundi, je leur soumettrai la question. Je ne veux pas paraître impoli, mais j'aimerais discuter un peu des affaires de la circonscription de Québec-Est avec monsieur Picard.
Si vous voulez bien rejoindre mon épouse, un moment?
Laurier s'étant levé, Chouinard ne pouvait faire autrement que de l'imiter.
Après quelques jours de sa septième et avant-dernière année au Petit Séminaire, Edouard mesurait combien il lui en coûterait de terminer ses études classiques. A tout le moins, il entendait profiter de toutes les occasions pour égayer son existence, même dans des situations aussi peu propices au plaisir qu'un congrès de l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française.
Quelques dizaines de jeunes gens, inscrits dans divers collèges et séminaires de la province, à l'Université Laval, et même quelques professionnels en début de carrière, profitaient de la journée de congé du samedi pour se réunir dans la salle Loyola de la rue d'Auteuil. Devant l'édifice de pierre grise, le garçon retrouva Fernand comme convenu entre eux et s'empressa de lui demander en tendant la main :
— L'université, c'est intéressant?
— Plus que le cours classique, certainement. Moins d'enfantillages...
A son âge, deux années de plus qu'un cadet autorisait à une certaine condescendance. Bon prince, il continua pour justifier son verdict :
— Nous avons des cours de droit le matin. Après le dîner, nous devons réviser les notions apprises. La plupart d'entre nous sommes déjà en apprentissage... chez un parent, le plus souvent.
— Comme toi, chez ton père.
— J'ai l'insigne privilège de transcrire les testaments et les contrats de mariage à la machine à écrire. Remarque, pour apprendre les termes, les formules, c'est le meilleur moyen. Mais le bonhomme est intraitable : une seule faute, et je dois recommencer la page. Nous entrons?
La salle de réunion était à l'étage. Ils se trouvèrent au milieu d'une assistance nombreuse de collégiens portant le «suisse», l'uniforme habituel des étudiants. Il s'agissait d'une longue veste tombant à mi-cuisse, le plus souvent noire, aux coutures soulignées d'un liséré blanc, avec une large ceinture de tissu, parfois fléchée, autour de la taille. Les plus âgés se contentaient de leur tenue de ville. Un nuage bleu flottait près du plafond décoré d'appliques de plâtre, résultat de la fumée de quelques pipes, et d'une majorité de cigarettes.
A une extrémité de la grande pièce rectangulaire, une petite scène permettait de présenter des spectacles musicaux ou des pièces de théâtre. Aujourd'hui, une table y prenait toute la place, derrière laquelle trois jeunes hommes manipulaient des papiers avec une certaine fébrilité, tout en se concertant à voix basse. L'un d'eux, Antonio Perreault, consultait sa montre régulièrement. A deux heures pile, comme un juge, il donna quelques coups de maillet pour rétablir le silence, s'éclaircit la voix puis commença :
— Messieurs, avant tout, souhaitons la bienvenue à l'abbé Chartier, notre aumônier.
Un homme mince, ascétique dans sa soutane noire, assis au premier rang, se leva pour se tourner à demi et saluer l'assistance. Son visage paraissait encore jeune, une impression accentuée par de petites lunettes à monture d'acier posées au milieu de son nez.
— Comme vous le savez, poursuivit le président de l'assemblée, monsieur l'abbé revient d'un voyage d'études de quelques années en Europe, au terme duquel il reprend son
poste au séminaire de Saint-Hyacinthe.
Ce retour dans son aima mater serait de courte durée, et bientôt le petit abbé se retrouverait professeur à l'Université de Montréal. Il y rejoindrait son complice dans la création de l'Association, Lionel Groulx, lui aussi de retour d'un séjour de perfectionnement sur le vieux continent. Quant à leur créature, l'ACJC, elle avait été inspirée d'une organisation française du même nom, poursuivant des buts identiques aux leurs. Sa devise, «Piété, Etude, Action», en résumait bien le programme : elle devait permettre aux étudiants et aux jeunes professionnels d'approfondir leur foi et de s'engager dans l'action politique et sociale tout en respectant les directives de l'Église.
Dans chaque institution d'enseignement classique et à l'université, un comité veillait à
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