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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dans sa maison d'Arthabaska, avec des vaches paissant de part et d'autre de la demeure, tellement s'imposait une impression de quiétude domestique.
    —    Madame Laurier, j'espère que votre santé est bonne, commença Thomas.
    Elle fit mine de se lever, une opération rendue difficile par son arthrite.
    —    Non, non, protesta le visiteur, demeurez assise.
    —    Quand tout le monde vous invite à négliger les usages de la vie en société, c'est que non seulement on devient bien vieille, commenta-t-elle en reprenant ses aises sur son fauteuil... mais que cela se voit, ajouta-t-elle ensuite en tendant la main.
    La remarque ne demandait aucun commentaire, surtout pas une protestation hypocrite, aussi Thomas enchaîna tout de suite :
    —    Je vous présente monsieur Chouinard, de Québec.
    Le petit homme balbutia quelques mots polis. Le commerçant répéta la scène pour Laurier qui, lui, se tenait debout près d'eux, grand et droit comme un «i».
    —    Comment se porte votre charmante épouse ? s'enquit ensuite Lady Laurier.
    —    Elisabeth se porte bien... si ce n'est sa déception de ne
    pas avoir d'enfant.
    —    Je la comprends, ajouta la vieille dame qui partageait la même malédiction. Mais au moins, vous avez ceux de votre premier mariage.
    Les Laurier, quant à eux, se rattrapaient en s'occupant de filleuls, ou alors de jeunes gens prometteurs membres du Parti libéral. Depuis peu, William Lyon Mackenzie King avait commencé à fréquenter leur salon avec assiduité. Thomas fit un signe d'assentiment aux paroles de son hôtesse, tout en se disant que la présence dans sa maison d'enfants nés de deux lits aurait posé une part de difficultés dont il se trouvait heureux de faire l'économie.
    —    Messieurs, comme je sais que vous devez rentrer à Québec ce soir, mieux vaut passer tout de suite à ce qui vous amène, déclara bientôt le premier ministre.
    Après s'être excusés auprès de Lady Laurier, les trois hommes se dirigèrent vers la grande bibliothèque située de l'autre côté du corridor. Les lourds rideaux aux fenêtres, le papier peint aux teintes bordeaux, les meubles imposants d'un brun foncé donnaient à la pièce un air sombre, solennel.
    —    Voulez-vous quelque chose à boire ? commença le politicien.
    Le domestique qui les avait accueillis à la porte se tenait toujours à portée de voix.
    —    Non merci, répondit Thomas dans un sourire. Après la nourriture dans le train...
    Surtout, son compagnon se montrait déjà trop volubile à jeun pour prendre le risque de l'endurer après qu'un verre d'alcool ait dissipé ses dernières inhibitions. Laurier congédia le domestique du geste, leur désigna les fauteuils près du foyer, éteint en cette saison, puis commença :
    —    Le maire Garneau me disait par télégramme que vous vouliez me parler des célébrations du tricentenaire. Après ce qui s'est passé il y a une semaine, le temps ne me semble pas propice aux réjouissances de ce genre. Puis de toute façon, notre scénario prévoyait de combiner cela avec l'inauguration...

—    La nouvelle situation vaut certainement mieux, commença Chouinard avec un enthousiasme exagéré. Des ponts, on en inaugure tous les ans, tant en Amérique qu'en Europe.
    Mais commémorer le troisième centenaire du berceau de l'Amérique française, cela se révélera unique.
    —    Nous avions tout planifié pour 1909. En avançant l'événement en 1908, cela nous laisse moins d'un an. Bien sûr je ne propose pas d'ignorer cet anniversaire. Mais plutôt que des grandes manifestations d'envergure nationale, pourquoi ne pas s'en tenir à une célébration modeste... à la mesure des moyens de la municipalité ?
    Le greffier de la Ville de Québec rêvait en grand, aussi grand que son sens politique se révélait minuscule. Il se lança dans un exposé d'une demi-heure pour mettre en évidence l'œuvre civilisatrice de la France catholique sur un continent couvert de forêts, peuplé de tribus de Sauvages aussi païens que sanguinaires. Tout au plus le premier ministre put-il placer parfois des «Je sais, je sais» murmurés et tout de suite interrompus.
    Puis il profita du moment où le petit gros reprenait son souffle pour déclarer d'une voix qui rappelait celle des grands discours prononcés en plein air :
    —    Monsieur Chouinard, je vous remercie de votre exposé enthousiaste. La décision reviendra cependant au cabinet.
    —

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