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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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couche. Aucun homme, surtout encombré d'enfants, ne demeurait veuf bien longtemps.
    —    De toute façon, je plains la fille qui se retrouvera avec lui, continua Eugénie, résolue à dénigrer son frère encore un peu. Tu sais où il se trouve, présentement?
    L'autre souleva les sourcils pour exprimer son ignorance, puis attendit.
    —    Il regarde des filles jouer au baseball. Des Américaines.
    La précision ne valait pas d'être apportée. Seules les
    femmes de ce pays se livraient à des excès pareils.
    —    Elles portent un pantalon, murmura Eugénie.
    —Je sais, j'ai vu des photographies dans les journaux de Montréal. En fait, leur costume ressemble beaucoup à ce que l'on portait au couvent, pour les cours de callisthénie.
    —    Mais jamais nous ne nous montrerions vêtues comme cela à un homme. Elles jouent contre des hommes, devant des hommes.
    Un peu plus, et elle se serait mise à discourir sur la dégradation des mœurs modernes.
    À midi et demi, Édouard récidiva avec une seconde saucisse, et son ami l'accompagna pour roter un peu aussi, après avoir constaté qu'il ne trouverait pas mieux en ces lieux. Ils repassèrent le pont Victoria pour suivre la rue Dorchester vers le nord. Ils se retrouvèrent à la Pointe-aux-Lièvres, la seconde des presqu'îles découpées par la rivière Saint-Charles. Alors qu'ils longeaient un édifice de brique rouge,
    Fernand demanda:
    —    Ça aussi, c'est à ton père ?
    Il ne révélait pas là un bien fort sens de l'observation : un grand panneau, au-dessus de la porte, étalait le mot PICARD en lettres noires sur fond blanc.
    —    Ce sont ses ateliers. Tout a commencé il y a dix ans avec la production de gants dans une bicoque de bois. Maintenant, des femmes, et quelques hommes, fabriquent aussi des vêtements. Mais les manteaux de fourrure présentent la meilleure rentabilité.
    —    Je m'en doute, ma mère en a acheté un l'hiver dernier.
    Des hommes se dirigeaient en grand nombre dans la même direction qu'eux, vers des assemblages grossiers de poutres et de planches formant des gradins en forme de «V». Ils versèrent chacun dix sous pour avoir le privilège de se trouver au premier rang, juste derrière l'endroit où se tiendrait le receveur. Devant eux, le losange s'approchait de la rivière, ce qui empêchait les resquilleurs de s'agglutiner au bout du champ pour profiter du spectacle sans payer. Puis quand la balle tombait à l'eau, les circuits demeuraient indiscutés.
    Une commotion se fit entendre du côté de la fosse qui abritait l'équipe visiteuse et se répandit dans tous les gradins. Edouard se leva comme les autres pour applaudir les Star Bloomer Girls.
    —    Sais-tu qu'elles sont venues des Etats-Unis dans un wagon particulier, identifié à leur nom ? hurla-t-il pour couvrir le vacarme.
    —    Comme tous les cirques qui visitent la ville, fit l'autre. Et c'est bien d'un cirque qu'il s'agit, non ?
    —    Ce sont surtout des athlètes et des artistes. Hier soir, elles ont fait le tour de Québec dans une voiture de tramway
    découverte, en jouant de la musique. Du ragtime...
    Ces derniers mots confortèrent Fernand dans son opinion : les cirques aussi organisaient une parade dans les rues, soulignée par une musique criarde, pour inviter les gens à se presser sous leur chapiteau.
    Les joueuses firent le tour du terrain au pas de course en saluant de la main. Ceux d'entre les spectateurs qui savaient siffler entre deux doigts s'en donnèrent à cœur joie, Edouard parmi eux. Son compagnon se montrait nettement moins enthousiaste, réprobateur même. Ces femmes portaient des vêtements qui auraient conduit des Canadiennes françaises en prison pour indécence, si elles avaient osé les afficher dans la rue.
    Les bloomers avaient fait leur apparition à titre de sous-vêtements, dans les années 1850. Ces pantalons très amples, faits de toile fine, serrés au niveau de la cheville, se portaient sous la robe. De cette façon, une femme pouvait dévaler une montagne ou un escalier cul par-dessus tête sans montrer un pouce de peau. Aux États-Unis, à la fin du siècle dernier, c'était devenu le vêtement d'exercice des étudiantes de tous les niveaux scolaires. Les bloomers prenaient alors la forme d'un pantalon bouffant - plus ajusté, il aurait révélé des rondeurs coupables -bien serré sous les genoux. Accoutrées ainsi, des adolescentes et des jeunes femmes jouaient au baseball, au

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