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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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son compagnon. Puis le spectacle est amusant.
    —    Et surtout, une joute entre des femmes n'attirerait personne. Elles jouent pour de l'argent. Aujourd'hui, les gradins débordent littéralement. Cela peut représenter combien de spectateurs, au total ?
    —    Peut-être mille cinq cents. Quand les Boston Bloomer Girls ont joué au stade des Mascottes de Montréal en 1902, il y avait huit mille personnes. Ce record n'a jamais été dépassé, avant ou après, dans la province.
    —    Des hommes qui bavaient sur des femmes en pantalon... On croirait un harem turc.
    Edouard jeta un regard en coin sur son compagnon, pour constater que de tous les spectateurs présents, il bavait certainement le plus. Peut-être imaginait-il Eugénie dans la même tenue. Le garçon esquissa un sourire, mais s'abstint de poser la question.
    Les neuf manches se succédèrent sans que la pluie ne vienne gâcher le spectacle, pour se terminer par une courte victoire des visiteuses. Pendant des semaines, dans toute la ville, une grave question hanterait tous les esprits : les Rock City avaient-ils laissé gagner ces femmes à cause d'une politesse toute française, ou ces représentantes du sexe faible étaient-elles vraiment supérieures à la meilleure équipe de
    Québec ?
    Mais avant d'en venir à cette phase inquiète, les spectateurs exprimèrent un enthousiasme délirant devant une fin de partie enlevante. Debout, tous applaudirent à tout rompre ces amazones américaines. Puis un craquement se fit entendre, et un gradin, à l'extrémité du grand «V», se rompit. Quelques jours après l'effondrement du pont de Québec, cette punition nouvelle donnait l'impression d'une condamnation divine de toutes les turpitudes dont les habitants de la ville s'étaient rendus coupables au cours du dernier siècle.
    Dans le silence profond qui suivit, percé seulement par des cris, des plaintes et des jurons, chacun demeura bouche bée un moment, regardant ses voisins. Un mouvement de foule se dessina ensuite, alors que la plupart des spectateurs tentaient d'évacuer les gradins. Après s'être réfugiés sur le grand diamant d'herbe verte afin d'éviter la bousculade, Edouard et Fernand se consultèrent du regard. Puis le premier énonça d'une voix blanche :
    —    Moi, j'ai assez joué au sauveteur pour toute cette année. Je laisse ma place à d'autres. Tu veux retourner dans la Haute-Ville?
    —    Je ne vois rien de mieux à faire.
    En rejoignant la sortie, où se pressaient quelques centaines de personnes, ils aperçurent la silhouette haute et noire d'une soutane qui se dirigeait vers le gradin écroulé.
    —    Crois-tu qu'il cherche des victimes à qui donner les derniers sacrements? demanda Fernand, regrettant tout de suite cette allusion ravivant, dans l'esprit de son compagnon, le souvenir des dizaines de personnes enterrées la veille.
    —Je ne pense pas, murmura celui-ci. De toute façon, personne n'est tombé de bien haut. Tel que je le connais, il doit plutôt être venu identifier les mécréants se trouvant ici,
    et préparer son sermon de la semaine prochaine.
    —    Tu le connais ?
    —    L'abbé Emile Buteau, curé de Saint-Roch depuis deux ou trois ans, après en avoir été le vicaire. Quand j'étais enfant, il venait à la maison afin de confesser ma mère malade et lui donner la communion. Ensuite, il s'empressait de vérifier si je connaissais bien mon catéchisme. Un mauvais souvenir.
    Un ton de reproche pointait sous ces mots. Raisonnable, le futur notaire commenta :
    —    Pourtant, il effectuait tout simplement son travail.
    —    J'avais six ans, et il me regardait comme si je venais de commettre le pire des assassinats... Que dirais-tu si nous coupions en diagonale pour aller sauter cette petite clôture ? Nous serions dehors plus vite.
    Son compagnon accepta. De nombreux spectateurs, parmi les plus jeunes, faisaient la même chose. Le lendemain matin, les journaux évoqueraient deux, peut-être trois membres brisés, des bleus et des bosses plus nombreux. L'incident rejetait dans l'ombre la victoire des Star Bloomer Girls.
    En soirée, à la lumière d'une lampe électrique, l'abbé Emile Buteau se remémorait le mauvais spectacle de l'après-midi, son joli stylo plume à la main. La première phrase de son prochain sermon s'alignait déjà sur la feuille blanche: «Québec a été visité, envahi, embarrassé par les Bloomer Girls. »
    L'ecclésiastique se demanda un moment

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