la Bible au Féminin 03 Lilah
Les eunuques s’écartèrent devant elle. L’un d’eux s’empara du châle dans lequel elle s’était drapée. Sans un mot, il lui ordonna d’avancer vers les voiles.
Les bras serrés sur sa poitrine demi-nue, Lilah s’arrêta devant le délicat tissu, ne sachant que faire. De la pointe de sa lance, le garde souleva le voile et lui fit signe de poursuivre.
Elle dut franchir les suivants elle-même, s’enfonçant au cœur de la houle de voiles qui la frôlait, l’aveuglait de ses plis et la perdait si bien que, vite, elle ne sut plus dans quelle direction elle progressait.
Le claquement se répéta et la surprit une fois de plus. Elle s’immobilisa, comme prise en faute, à l’instant où une voix retentit, impérieuse :
— Quel est le nom de celle qui approche ?
Lilah, éberluée, souffla son nom. C’était à peine un chuchotement et la voix tonna à nouveau.
— Lilah, répéta-t-elle aussi fort qu’elle le pouvait. Lilah, fille de Serayah.
— Approche de deux voiles.
Elle obéit, levant les yeux pour trouver un repère parmi les poutres de la toiture. L’opacité des tissus qui la séparait du reste de la salle diminua. Elle devina la masse des colonnades ouvrant sur un jardin.
— Que viens-tu faire ici, fille Lilah ? demanda la voix.
Elle ne put répondre. La peur, gluante et sournoise, serpentait dans ses reins. Ses mains tremblaient. Elle s’obligea à fermer les yeux pour se ressaisir et ne pas se laisser emporter par l’émotion. L’étrangeté de cette situation n’était conçue que pour l’impressionner. Pour faire de son imagination son ennemi. Montrer sa faiblesse. Les voiles n’étaient que des voiles ! Non des monstres ou des fauves ! Lilah se redressa et déclara :
— Je viens devant notre reine.
— Approche.
Le cœur battant, Lilah souleva le tissu devant elle. Il n’en restait plus que deux. Elle distingua une plateforme disposée entre des colonnes. Quelques silhouettes s’y découpaient avec, en son centre, une longue couche surmontée d’un dais.
Les notes de la harpe étaient à présent nettes et claires. Lilah entrevit la musicienne devant l’une des colonnes. Des gardes cuirassés étaient postés à l’extérieur de la pièce. La lumière grise du jour se reflétait sur les plaques métalliques qui couvraient leurs torses.
Une voix de femme, différente de celle que Lilah venait d’entendre, ordonna :
— Approche, fille, approche.
Lilah comprit que la reine venait de parler. Le souffle court, elle souleva les derniers voiles. Tentant de masquer encore sa poitrine de son bras libre, elle fit quelques pas sur un sol de marbre. L’air frais venu du jardin la fit frissonner. Elle se souvint de l’injonction de l’eunuque et ploya brièvement le buste et un genou. Elle tendit la main droite devant elle, paume levée, et l’approcha de ses lèvres en se redressant. Un rire grave monta de la couche.
— Bien, bien ! Approche.
Parysatis, le buste soutenu par des coussins, était à demi allongée sur la couche recouverte d’un tapis de soie vert et pourpre. Elle était d’une petitesse étonnante. Son corps semblait disparaître sous une sorte de cape brodée de fils d’or et de pierreries. Un bandeau d’argent retenait ses cheveux et des bandes de soies colorées y étaient agrafées. Son visage paraissait être celui d’une enfant précocement vieillie. Sa peau, claire et fine telle une céramique longuement polie, était sillonnée de rides profondes sur le front, les joues, le cou. Sa bouche souriait, mais ses yeux grands et fixes, d’un bleu de ciel pailleté, demeuraient sans expression.
Dans un cliquetis de bracelets sa main apparut, d’une blancheur de lait. Ses doigts bagués s’agitèrent avec impatience.
— Avance ! Avance jusqu’ici, que je te voie dans la lumière.
Lilah obtempéra. Deux servantes à peine nubiles se tenaient à genoux sur la couche et la dévisageaient, placides. Sur le côté, assis sur un large tabouret, le troisième échanson souriait. De ce même sourire, ironique et satisfait, qu’il avait eu en découvrant Lilah dans la maison de l’oncle Mardochée. Derrière lui d’autres servantes et quelques eunuques, tous très jeunes, patientaient à genoux sur l’estrade. L’un des adolescents tenait sur ses genoux les plaques de cèdre dont les claquements avaient rythmé la progression de Lilah sous les voiles.
— Eh bien, montre-toi ! s’exclama Parysatis. Lilah hésita.
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