la Bible au Féminin 03 Lilah
s’arrêtèrent, remplacés par quatre cavaliers en tuniques longues qui se placèrent auprès de l’attelage du troisième échanson.
La voie royale se poursuivait, tout aussi rectiligne. Elle était à présent bordée sur les côtés de parois colorées d’ocre, de jaune et de bleu, surmontées de tours carrées et crénelées. Il n’y avait ici aucun passant, aucun signe de la vie ordinaire. Lilah se retrouva vite privée de repères. Les murs étaient si hauts qu’ils masquaient même les falaises de la Citadelle.
Le cortège vira brutalement sur la droite. Quittant la grande voie, il s’enfonça dans une rue plus étroite, aux parois moins élevées. Lilah tressaillit. Les escaliers et les murs gigantesques de la Citadelle se dressaient devant eux, à peine à un demi-stade de distance, plus proches qu’elle ne les avait jamais vus.
Elle serra son châle sur sa poitrine, la gorge nouée. Sa stupeur et sa curiosité se muaient en peur. Il y eut encore des portes, des arches et des cours. Enfin, ils pénétrèrent dans un immense jardin. Lilah distingua les festons des frises de céramiques et la horde de personnages qui ornait les escaliers conduisant à la Citadelle.
À sa surprise, leur escorte se dirigea sur la gauche, s’éloignant des murs. Ils pénétrèrent dans un boqueteau de pins, de palmiers et de cèdres. La rive orientale de la Chaour apparut entre les troncs. Les roues des chars et les sabots des chevaux résonnèrent à nouveau sur un pavement. Devant eux se dressait un palais immense, bâti sur une terrasse à l’aplomb du fleuve. Le mur d’enceinte, en briques teintes de blanc et s’étendant jusqu’à la rive orientale du fleuve, était borgne. Une seule porte, écarlate, y donnait accès. Elle s’ouvrit à l’approche du cortège, ne leur laissant que le temps de franchir le seuil du palais avant de se refermer dans un bruit sourd.
Cavaliers et chars s’immobilisèrent dans une cour tout en longueur, bordée d’étables et de citernes. Au-delà d’un porche clos d’une grille, Lilah devina une enfilade de cours plus petites, d’arches, de colonnades et de patios. Des serviteurs s’approchèrent, tous vêtus de tuniques striées vert et pourpre. Leurs joues lisses et leurs chevelures courtes étaient celles des eunuques.
Le troisième échanson descendit de son char. Sans regarder Lilah, il ordonna :
— Conduisez-la à la salle de propreté. Qu’elle soit prête après le repas de la reine.
*
* *
Lilah ne pouvait s’empêcher de songer aux rumeurs colportées sur la reine Parysatis. En vérité, une fois entendues, nul ne parvenait à les oublier. Elles étaient de celles que l’on se murmurait en craignant les mots mêmes que l’on prononçait.
Entourée d’une nuée de serviteurs, femmes ou eunuques, la reine soufflait sur eux la vie ou la mort, selon son humeur. Certains devaient s’appliquer avant elle ses pommades ou ses parfums, d’autres goûter ses plats et ses boissons. La reine redoutait d’être empoisonnée, elle-même usant des plantes mortelles avec autant de savoir que de ruse. Il arrivait aussi qu’elle fasse trancher la langue d’un eunuque ayant accepté un plat imparfait ou les mains d’une servante n’ayant pas repoussé une pommade trop grumeleuse.
Parysatis, assurait-on, n’avait que deux amours : ses fils et sa puissance de reine, de mère du Roi des rois. On chuchotait que ses plaisirs étaient aussi raffinés que cruels, ses caprices infinis, ses désirs étranges et à jamais inassouvis. Les puissants de l’Apadana suaient d’angoisse lorsqu’ils devaient partager son repas. Deux épouses de son fils aîné, Artaxerxès le Nouveau, étaient mortes pour s’être opposées à sa volonté. Et Lilah avait entendu Antinoès lui-même s’étonner que les plus puissants des généraux manifestent davantage de crainte devant la haine de la reine mère que devant les hordes des Grecs.
Et voilà que Parysatis l’envoyait chercher dans la maison de Mardochée ! Elle, une Juive, une habitante de Suse-la-Ville. Autant dire un insecte aux yeux de la reine.
Mais un insecte qu’Antinoès, fils d’Artobasanez, le défunt satrape de Margiane, désirait épouser…
Que voulait Parysatis ? Seulement satisfaire sa curiosité ?
La voix d’un eunuque tira Lilah de ses réflexions. Il lui présentait un panier rempli de fins bracelets et de colliers.
— Prends ces bijoux et mets-les. On va te conduire bientôt chez
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