la Bible au Féminin 03 Lilah
notre reine.
Plutôt que d’obéir, Lilah jeta un regard vers la large fenêtre. Un ciel bas, aux nuages boursouflés, se fondait à l’horizon des plaines et des collines à l’ouest de la Chaour. Il était difficile de savoir si le jour était déjà bien avancé. Lilah éprouvait le sentiment d’être dans le palais depuis longtemps, mais ce pouvait être l’effet de l’attente et de la longue toilette à laquelle on l’avait contrainte.
Comme il avait été inutile que tante Sarah et Axatria s’inquiètent de sa tenue et de sa coiffure avant son départ de la maison ! Sans beaucoup de mots, sans pudeur mais sans familiarité, servantes et jeunes eunuques l’avaient conduite dans une petite salle où on lui avait ôté ses vêtements sans qu’elle pût protester.
Les servantes l’avaient poussée, nue, dans un étroit bassin où les eunuques déversaient le contenu tiède et parfumé de deux grandes jarres. À sa honte, on l’avait lavée comme si elle puait autant qu’une pauvre fille de la ville basse. Après l’avoir séchée dans une pièce attenante, où des feuilles de laurier et d’eucalyptus brûlaient dans des braseros, on l’avait parfumée avec une crème dorée, huileuse et épaisse. Après quoi, il avait fallu attendre que sa peau absorbe ce liniment.
Choquée d’être ainsi dévoilée, palpée et enduite sans retenue, Lilah s’était néanmoins vite aperçue que les servantes comme les eunuques accomplissaient leur tâche avec une froideur dénuée d’ambiguïté.
Elle ne parvenait pas même à croiser leurs regards. Leurs expressions demeuraient distantes, indifférentes. Ils accomplissaient leur ouvrage sans plus de paroles que celles qui leur étaient indispensables. Ils semblaient ne songer à rien et ne rien voir. Entre leurs mains, Lilah n’était pas une personne, seulement un devoir à accomplir.
D’abord mal à l’aise et craintive, Lilah laissa exploser sa colère lorsqu’on lui apporta une tunique de lin blanc, si fine qu’elle en était transparente. Taillée de manière inhabituelle, la tunique dévoilait son sein droit, dénudait son dos jusqu’au creux des reins et s’interrompait à mi-cuisse. Les joues écarlates de honte, elle réclama la robe dans laquelle elle était arrivée. Sa fureur tira à peine un sourire aux servantes.
— Nulle femme ne paraît devant la reine dans ses vêtements si elle n’est pas l’épouse d’un puissant de l’Apadana. C’est la loi. Notre reine Parysatis a ordonné que tu portes cette tunique, et tu dois obéir. Sois sans crainte, tu retrouveras tes vêtements et tes bijoux quand il sera décidé que tu peux retourner chez toi.
Ensuite, on lui avait donné un châle pour recouvrir ce que sa tunique dévoilait. Puis on l’avait fait attendre encore assez longtemps pour qu’elle eût tout le loisir de songer à ce moment où elle serait offerte au regard de Parysatis dans cette tenue honteuse.
Maintenant, l’eunuque la pressait de passer à ses poignets les bracelets d’argent et d’ivoire en lui prodiguant d’ultimes conseils :
— Ne lève pas les yeux sur la reine avant de te prosterner. Et ne parle que pour répondre aux questions que l’on te pose.
*
* *
Les servantes entrèrent dans une petite cour carrée, pareille à un puits. Des eunuques, en tenue de garde, étaient postés devant les corridors auxquels elle donnait accès. Quatre d’entre eux vinrent se placer autour de Lilah. Ensemble, ils s’engouffrèrent à nouveau dans l’immensité labyrinthique du palais.
Lilah eut la bizarre impression que le sombre couloir qu’ils empruntaient tournait en rond. Soudain, la lumière blanche du jour l’aveugla. En quelques pas, ils furent sur le seuil de la plus étrange des salles. De minces colonnes de cèdre recouvertes de cuivre en soutenaient le haut plafond. Des cordes de couleurs vives étaient suspendues à leurs chapiteaux. Y étaient accrochés d’immenses voiles transparents qui traversaient la salle de part en part sur une douzaine de rangées parallèles.
Bien que chacun, d’une grande finesse, fût à peine teinté de pourpre et de bleu, leur accumulation interdisait de distinguer le fond de la pièce. Le souffle irrégulier de la brise les agitait mollement, la lumière du jour les irisait, jouait dans leur trame ainsi que sur la fourrure palpitante d’un animal.
Lilah perçut des bruits de voix, quelques notes ténues tirées d’une harpe. Un claquement résonna.
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