la Bible au Féminin 03 Lilah
Parysatis.
— Non, ma reine.
Serrant toujours sa main, Parysatis descendait les marches conduisant au jardin. Lilah eut l’impression qu’elle pouvait deviner mensonge et vérité par le simple contact de leurs paumes nouées.
— Et tu connais Antinoès depuis longtemps, dit la reine.
Ce n’était pas vraiment une question. Simplement, Parysatis marquait tout le pouvoir de sa curiosité ainsi que sa puissance royale. Et, hélas, Lilah n’avait plus de doute : Antinoès était bien la raison de cette étrange rencontre… Elle répondit :
— Je le connais depuis l’enfance, ma reine.
Sans ralentir son trottinement, Parysatis gloussa à nouveau.
— Depuis l’enfance ! Et pas d’enfant ? Tu n’es pas vierge, quand même ?
— Ma reine… hésita Lilah, la honte lui étouffant la voix.
Parysatis agita sèchement leurs mains nouées.
— Ne mens pas, je t’ai dit ! Et ne sois pas bégueule ! Bien sûr que tu n’es pas vierge. Parysatis voit ça au premier regard chez une fille.
Elle se tut et avança sans plus un mot. Lilah s’efforça de masquer sa peur autant que l’humiliant embarras d’être ainsi, presque nue sous les regards.
Abandonnant la main de Lilah aussi brutalement qu’elle l’avait saisie, Parysatis emprunta un chemin bordé de bambous. Le jardin, clos par les murs d’enceinte du palais, était si touffu en son centre qu’il prenait l’apparence d’un sous-bois aux essences mélangées. À leur passage, des nuées de papillons abandonnèrent les grappes d’amarantes et de buddleias pour virevolter au-dessus de leurs têtes.
Adaptant avec attention son pas à celui de la reine, Lilah se demanda quelles folies allaient entraîner les prochaines questions de Parysatis. Allait-elle seulement repartir vivante de ce palais ? Que devait-elle répondre et ne pas répondre ? Que voulait la reine ? Antinoès était-il lui aussi en danger ?
Se dirigeant vers le centre du bosquet, le chemin suivait une pente douce. Une odeur puissante, acide et sauvage, stagnait dans le sous-bois. Elle devint plus forte et plus irritante alors qu’elles progressaient. Une odeur inconnue de Lilah, mais qui ne semblait nullement gêner Parysatis.
Le sous-bois s’éclaircit soudainement tandis qu’il s’ouvrait sur une clairière. Les troncs de bambous ne formaient ici qu’une haie basse bordant une fosse, profonde d’une dizaine de coudées et aux côtés aussi abrupts que s’ils avaient été taillés à la hache. Alentour, Lilah découvrit avec étonnement les buissons épais, les mares, les arbres chétifs aux troncs lacérés qui en tapissaient le fond, sillonné de laies de terre molle mille fois foulées.
Tout près du bord, à peine à deux ou trois brasses du chemin où s’avançait Parysatis, une plate-forme de rondins surplombait cette végétation anarchique. Des oiseaux noirs que l’on voyait d’ordinaire sur les charognes s’y tenaient. À leur approche, ils s’envolèrent en criaillant, les ailes lourdes.
Sans se retourner, Parysatis ordonna :
— Approche-toi, fille Lilah, que je te présente à mes amis.
Comme pour soutenir son injonction un feulement déchira l’air. Un autre lui répondit, et un autre encore. Au fond de la fosse les buissons s’agitèrent. Lilah devina des éclairs de fourrures fauves et poussa un cri. D’un même élan, deux lions aux crinières ondulantes bondirent sur la plate-forme. Ils s’y posèrent, la gueule béante, dévoilant des crocs jaunes et luisants. Leurs pattes énormes piétinèrent les rondins comme pour prendre leur élan. Lilah ne put retenir un nouveau cri, certaine qu’ils allaient bondir jusqu’à elle.
Mais non.
L’un d’eux bascula la tête, le mufle vers le ciel. Le flot de sa crinière se déploya sur son poitrail telle une corolle de feu. Il jeta un nouveau rugissement, terrible et déchirant, tandis que l’autre, fouettant de la queue, grondait en tournant sur lui-même.
Pétrifiée, Lilah claquait des dents. La chair de poule hérissait sa peau nue. Le lion rugit encore, moins fort. Comme si sa violence cédait déjà à l’ennui. La gueule ouverte, menaçante, ses prunelles d’encre noire fixées sur ces nouveaux venus dont l’odeur excitait ses narines, il se coucha. Derrière lui, avec l’humilité d’un mâle moins puissant, l’autre lion s’allongea à son tour.
Un bref silence s’appesantit sur la fosse. Les oiseaux ne volaient plus au-dessus du bosquet. Lilah devina les
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