la Bible au Féminin 03 Lilah
Lilah, fille de Serayah.
Dans le dos de Mardochée, Sarah poussa un cri. Des exclamations jaillirent de l’atelier. Mardochée ouvrit la bouche, incapable de respirer.
L’eunuque parut satisfait de l’effet qu’il venait de produire. Son bras aussi lisse et pâle que son visage se leva, brandissant un bâton d’ébène d’Égypte aux embouts d’ivoire et de corail.
— La reine veut ! Obéissez.
Mardochée ne parvenait pas à comprendre les mots qu’il entendait. Il répéta, éberlué :
— La reine veut Lilah ?
— Es-tu sourd ? Ma reine Parysatis ordonne. Ta nièce Lilah doit me suivre où je la conduirai.
L’homme eut encore un petit rire :
— Ne fais pas cette tête. La reine te fait un grand honneur, marchand de chars. Allez, allez ! Dépêchez-vous. On vous attend, et la chambre de la reine n’attend pas longtemps.
*
* *
Assise dans le char à bancs, Lilah eut besoin de tout le trajet à travers la ville pour reprendre ses esprits.
Axatria et la tante Sarah étaient accourues en roulant des yeux la prévenir de l’incroyable événement.
— Mais pourquoi ? avait demandé Lilah. Que me veut-elle ?
Un éclair de fierté avait brillé dans les yeux de Sarah, effaçant la frayeur qui s’y lisait un instant plus tôt.
— Sans doute a-t-elle entendu parler de ta beauté, avait-elle suggéré. Peut-être te veut-elle à son service ?
La suggestion avait paru si saugrenue à Lilah qu’elle en était restée médusée.
L’affolement avait saisi toute la maisonnée. Axatria s’était évertuée à refaire la toilette de Lilah. Sarah l’avait repoussée : rien ne convenait, rien n’était assez beau, et l’on n’avait pas même le temps de lui refaire le chignon !
Lilah avait fini par déclarer :
— C’est à cause d’Antinoès.
Axatria et Sarah s’étaient regardées. Il n’y avait plus ni fierté ni excitation sur leur visage. Axatria avait haussé les épaules avec une petite grimace. Désignant la grande cour où résonnaient encore les éclats de voix de l’eunuque de la reine, elle avait grommelé :
— Peut-être, mais ce n’est pas lui qui te le dira.
De fait, le troisième échanson avait fort impoliment refusé le vin offert par l’oncle Mardochée pour le faire patienter, puis avait tempêté et menacé jusqu’à ce que Lilah s’approche enfin.
Là, il s’était tu. Les paupières plissées, il l’avait toisée avec cette morgue qu’il avait imposée à Mardochée auparavant. Finalement, un sourire de satisfaction avait fripé sa face molle. Un sourire qui n’avait réconforté personne.
Lorsque Lilah s’était assise sur le banc du char, le visage de l’oncle Mardochée était livide, ses yeux la suppliaient d’être prudente. Sarah avait levé une main tremblante. Les larmes atteignaient déjà son menton. Axatria, ainsi que les servantes et les ouvrières qui s’étaient amassées sur le côté de la porte, l’avaient contemplée comme si elles ne devaient jamais la revoir.
Le troisième échanson avait donné l’ordre du départ. Le char s’était ébranlé, Lilah avait fermé les yeux, cherchant à se rassurer et à ne pas songer à ce qui pouvait l’attendre.
*
* *
Leur cortège attirait l’attention des passants. Deux soldats couraient devant le char de l’échanson. Le char à bancs suivait, entouré par les autres soldats.
Ils avaient rejoint la voie royale, si large qu’une vingtaine d’attelages pouvaient s’y côtoyer. Elle traversait Suse-la-Ville depuis les remparts du sud, franchissait la muraille de la ville royale par une porte surmontée de deux tours énormes, et conduisait jusqu’au pied de la Citadelle. Rectiligne, bordée d’arbres et de rosiers, elle était pavée en son centre de marbre rose et blanc. Un pavement aussi parfait qu’un tissage. Seuls les chars royaux et les soldats, lors des processions, des fêtes et des déplacements du Roi des rois, étaient autorisés à le fouler.
Le son rauque d’une trompe retentit quand ils s’approchèrent des tours en briques vernissées de bleu et décorées par des centaines de lions ailés. Sans ralentir, le cortège s’enfonça dans la muraille. Lilah entrevit au passage les rangées de gardes stationnées devant les immenses battants de la porte aux sculptures de bronze.
La lumière grisée par les nuages revint lorsqu’ils débouchèrent de l’autre côté. Les soldats qui couraient aux côtés des chars
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