la Bible au Féminin 03 Lilah
Lilah leva la main.
— Non, ne te moque pas, ce serait injuste. Peu après ton départ, un vieil homme est venu le voir dans la ville basse. Il s’appelle Baruch ben Neriah. Il vivait à Babylone et avait appris que notre famille possédait le rouleau des lois confiées à Moïse par Yhwh. Un vieil homme, doux et très savant. Toute sa vie il a étudié sur des papyrus copiés et incomplets. Il a invité Ezra à partager ses études. Depuis, l’un et l’autre sont plongés dans les textes. Ezra devient un sage, Antinoès. Un sage de notre peuple, comme ceux qui conduisaient les fils d’Israël avant l’exil.
— Très bien. Qu’il étudie, qu’il devienne un sage. Que m’importe, pourvu qu’il te laisse libre de m’épouser !
— Antinoès ! Tu as aimé Ezra presque autant que moi.
— C’était il y a longtemps !
— Pas assez pour que tu ne t’en souviennes plus. Tu sais comme moi qu’Ezra n’est pas fait pour la vie ordinaire. Un jour, il sera grand…
— Non. Il faudrait pour cela qu’il ne soit pas jaloux. La jalousie le diminue autant que la haine affaiblit un guerrier avant le combat.
Lilah se tut, esquissa un sourire. Elle s’avança, caressa le torse nu d’Antinoès, posa son front contre son épaule et l’enlaça tendrement.
— Je n’ai pas d’autre désir, je n’ai pas d’autre bonheur que d’être l’épouse d’Antinoès. Sois encore un peu patient.
Antinoès plongea son visage dans la chevelure de Lilah.
— Non ! Je ne veux plus être patient ! Je te veux près de moi pour toute la vie qui vient. Je suis rentré pour que nous soyons ensemble. Et il en sera ainsi. Si Ezra ne veut pas d’épousailles, nous serons mari et femme malgré lui. Il suffit que ton oncle Mardochée m’accepte !
Lilah dénoua ses bras, tremblante.
— Antinoès…
Mais Antinoès ne l’écoutait pas. Il la serra de nouveau contre son corps nu, indifférent à la fraîcheur grandissante de la nuit.
— Et si nous ne pouvons être mari et femme, poursuivit-il, nous serons amant et amante pour toujours. S’il faut quitter Suse, nous quitterons Suse et je rendrai ma cuirasse et mon baudrier de capitaine des chars. Nous irons en Lydie, à Sardes. Il y a une mer magnifique, là-bas, et j’y deviendrai un héros grec…
Lilah saisit son visage entre ses mains et le baisa sur la bouche pour le faire taire. Elle l’étreignit, murmurant dans leur souffle à nouveau brûlant :
— Je n’aurai pas d’autre époux que toi, mon bien-aimé. Laisse-moi le temps de convaincre Ezra et de faire que notre bonheur ne soit pas sa peine.
La nouvelle
Le jeune esclave tira sur les brides. Les mules mâchonnèrent leurs mors en renâclant et l’attelage s’immobilisa à l’ombre d’un néflier.
Lilah en descendit. D’un signe de la main, elle réclama l’aide d’Axatria.
La servante attrapa l’énorme couffin posé entre les bancs, disposant les lanières de cuir afin que sa maîtresse puisse les passer à son épaule. Les sourcils froncés, elle protesta :
— Il est trop lourd ! Ce n’est pas à toi de porter une charge pareille.
— Ça ira. Ne t’inquiète pas, répondit Lilah, calant le couffin sur ses reins.
— Bien sûr que je m’inquiète ! Je m’inquiète et j’ai honte. Ta tunique sera un chiffon avant que tu n’arrives à la maison d’Ezra ! Dieu du ciel, à quoi tu ressembles !
Axatria tenta de déplisser le tissu froissé par les sangles, repiqua sans ménagement la broche en forme de demi-lune qui retenait le châle transparent sur les cheveux de Lilah.
— Ta coiffure ne durera pas jusque chez ton frère, je te le dis. Lui qui aime tant te voir belle ! Et ta tante ? Que penserait-elle en te voyant chargée autant qu’une mule alors que ta servante a les fesses posées sur la banquette du char… Lilah sourit.
— Ezra acceptera de voir sa sœur un peu chiffonnée et je ne le raconterai pas à tante Sarah, je te le promets.
Axatria ne parut ni amusée ni apaisée par cette réponse.
Lilah s’éloigna du char, assurant d’une petite secousse l’appui des sangles dans sa main. Son pied buta contre le rebord surélevé d’une dalle de la voie, taillée droite entre les ultimes jardins de Suse-la-Ville. Emportée par le poids de sa charge, elle fit un écart. À peine eut-elle le temps de se rétablir qu’Axatria agrippait le couffin.
— Tu vois ! Il est bien trop lourd. Laisse-moi faire. À deux nous le porterons plus
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