la Bible au Féminin 03 Lilah
vrai dire avec indifférence et sans aucune joie.
Je me reprochais de ne pas être heureuse. N’avais-je pas voulu plus que tout ce qui advenait ? Mais j’avais beau me le reprocher, rien ne m’apportait paix et satisfaction.
Déjà tu me manquais, Antinoès. Je songeais que je t’avais serré dans mes bras juste assez fort pour garder l’empreinte de ce que j’avais déjà perdu. Ce poids était plus lourd à porter que je ne l’avais cru. Soudain, je doutais d’en être capable. Je n’étais plus cette femme assurée qui avait trouvé le courage et la détermination d’affronter Parysatis.
Je n’étais qu’une jeune femme de vingt-deux années et une épouse de quelques jours. J’étais effrayée. Devant moi s’étirait l’immensité d’une vie que je ne parvenais pas même à imaginer.
Heureusement, Ezra ne devina rien de mes doutes, car je ne le vis pas avant le départ, ni même durant notre route jusqu’à Babylone.
Désormais, Zacharie et les siens l’entouraient assidûment, ainsi qu’une troupe de jeunes gens pleins de ferveur venus de toutes les parties de la Susiane. Ils buvaient ses paroles et ses colères comme on s’abreuve de petit lait au matin.
Oh ! il n’y eut rien de désagréable. Aucun mot ni aucun geste déplaisants. Mais j’ai vite deviné que je n’étais plus la bienvenue auprès de mon frère tant que les graves décisions du départ les accaparaient. Des décisions d’hommes, forgées avec le savoir des hommes pour ces choses-là !
Cela ne me peina pas. J’avais moi aussi à me préparer et bien des larmes à sécher. Axatria était nerveuse comme une chatte qui a perdu ses petits. Elle craignait à tout instant de ne pouvoir nous accompagner à cause des rumeurs qui circulaient : les jeunes dévots d’Ezra assuraient que mon frère ne voulait que des Juifs avec lui. Seuls les fils d’Israël, hommes, femmes et enfants, pouvaient prendre la route et retourner peupler Jérusalem, prétendaient-ils. Les serviteurs, et même, dans certains cas, les épouses ou les époux qui n’étaient pas juifs ne pouvaient se joindre aux voyageurs.
Cependant cette rumeur ne fut jamais confirmée. Elle se dissipa, recouverte par une annonce véritable : Ezra ordonnait un jeûne de deux jours sur les bords de la Chaour avant le départ.
*
* *
Ô Antinoès, mon bien-aimé, si seulement je pouvais poser mon front sur tes épaules !
Il m’a fallu interrompre cette lettre pour aller enterrer un enfant.
C’est, en ce moment, la plus épouvantable de mes tâches, mais pas la moins fréquente.
Il m’est difficile de reprendre le calame sans que mes doigts tremblent.
Ce qu’a pu être notre départ de Suse, tu l’imagines. Il n’est pas besoin que j’use mes mots là-dessus. Mardochée avait tout particulièrement préparé un char pour Axatria et moi. Tante Sarah en avait décoré les bancs des plus beaux tissages de ses ouvrières. Beaux et solides, car je suis encore assise dessus tandis que le char est désormais affecté à un autre usage.
Nous formions une colonne de dix mille personnes, au moins. Le soir, les premières étaient déjà parvenues au bivouac alors qu’on ne voyait pas même l’ombre des dernières ! Ezra allait en tête, bien sûr, suivi par Zacharie, les siens et les jeunes dévots. Tous sans aucune femme. Puis venaient les familles par ordre des tribus selon les classements très anciens qu’en avaient faits Moïse et Aaron sous la montagne des Commandements.
Après avoir avancé durant la matinée du premier jour, nous avons découvert Sogdiam qui se déhanchait sur le bord du chemin. Ce fut ma première joie depuis longtemps que de le faire grimper dans notre char.
On rit lorsqu’il nous expliqua, plein de dépit, qu’il avait cherché par tous les moyens à rester devant, auprès d’Ezra. C’était sans espoir : il était encore loin, grognait-il, d’être assez bon Juif pour en avoir le droit.
Il avait aussi très peu apprécié les deux jours de jeûnes précédents et dévora le repas que nous lui offrîmes avec un appétit de tigre.
Ce fut notre chance de l’avoir avec nous durant ce long voyage. C’est encore aujourd’hui ma chance qu’il soit auprès de moi. Il a accompli mille merveilles, et pas seulement pour cuisiner des soupes et des pains fourrés.
Ce jour-là, c’est par lui que nous apprîmes notre première destination. Nous nous dirigions vers les rives de l’Euphrate pour rejoindre
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