la Bible au Féminin 03 Lilah
Antinoès, puissant de Suse-la-Citadelle. Qu’Ahura-Mazdâ et Anâhita protègent mon amour pour Lilah. Qu’ils donnent au temps la puissance et la fidélité.
Ils riaient, les larmes brillant sur leurs joues, leur bonheur aussi intense que leur désespoir.
— Je suis Lilah, fille de Serayah, et devant l’Éternel je tiens ma promesse. Je suis Lilah, épouse d’Antinoès. Cela est écrit dans Le Livre des jours jusqu’à la fin des temps.
— Je suis Antinoès, époux de Lilah. Qu’Ahura-Mazdâ jusqu’à la fin des temps m’apporte les baisers de Lilah.
Deuxième partie
Les répudiées
Antinoès, mon époux,
Presque une année s’est écoulée depuis que nous avons tourné sous le dais des épousailles. Une année que tes lèvres ne se sont pas posées sur les miennes, que tes mains n’ont pas caressé mes seins et mes hanches.
Un temps devenu si long que je ne sais plus à quelle aune le mesurer.
Mais il n’a guère été de nuits et de jours sans que je murmure ton nom, sans que le désir d’entendre ta voix, de recevoir ton souffle sur ma nuque ne me torde le ventre et ne brise le peu de joies que je pouvais éprouver.
Pourtant, j’ai su être patiente.
Durant notre nuit d’épousailles, j’ai fait la promesse qu’un jour nous nous retrouverions. À Suse ou à Babylone. Peut-être à Jérusalem ou, pourquoi pas ? dans un autre endroit du monde. J’ai promis que Yhwh ne nous laisserait pas séparés pour la vie entière. Oui, je t’ai fait cette promesse : un jour viendra où Lilah, ton épouse, sera à ton côté, où je porterai tes enfants et les ferai grandir. Antinoès et Lilah seront mari et femme ainsi que l’on doit l’être. Et non simplement des fantômes et des souvenirs.
Aujourd’hui, cependant, je le crains, je ne saurais tenir cette promesse.
Non de ma propre volonté. Oh non !
Mais il s’est passé quelque chose de si terrible que je ne sais plus à quoi demain ressemblera. Je ne sais plus ce que je pourrai et ne pourrai pas accomplir.
Je t’écris parce que j’ai peur ! Parce que je ne sais plus ce qui est juste et injuste.
C’est comme être emportée par la crue d’un fleuve et se débattre dans le courant en voyant ses rives disparaître.
Et dans le même temps que je les écris, je me dis qu’il y a une folie à noircir d’encre et de phrases ce papyrus !
Car j’ignore absolument tout de ta vie présente. J’ignore tout de toi, mon époux bien-aimé.
En vérité, je n’ai pas même la certitude que tu vis encore !
Mais à ta mort, je ne peux pas penser. Cela, c’est impossible, Antinoès, mon amour.
Tes batailles ont-elles été nombreuses et difficiles ? As-tu été blessé ou victorieux ?
Parfois, au cours des heures de désespoir, quand la solitude devient comme une boue d’hiver, glacée et gluante, quand il n’y a plus de couleur dans les arbres et le ciel et que les battements de mon propre cœur m’effrayent, je songe qu’une autre a déjà su être ta femme et occuper la place que je laisse vide.
Alors, je me reproche mon obstination ! Oh oui, je me la reproche et m’en punis par le rêve de ce que je n’ai pas choisi de rendre réel : aller avec toi, loin de Parysatis, loin d’Ezra. Loin de Suse. Demeurer près de toi, voir tes yeux, ta bouche, regarder palpiter tes narines à chaque aube, à chaque crépuscule.
Je n’ignore pas qu’un homme aussi beau et aussi puissant qu’Antinoès mon époux ne peut demeurer solitaire. Comment pourrait-il vivre sans corps de femme contre le sien ? Sans amour ni caresses ? Sans rien d’autre que des souvenirs qui, aujourd’hui, ne sont peut-être que des fumées dispersées ?
Car c’est bien cela notre vérité, ô mon époux. Nous ne sommes plus l’un pour l’autre que les fantômes de notre mémoire.
Ces pensées-là me torturent sans fin.
Mais elles me torturent moins si je te parle ainsi, en couchant les mots sur les fibres jaunes du papyrus.
Cette lettre que je t’écris, je n’ai aucun lieu où te l’envoyer. Ni pays, ni ville, ni camp, ni maison où te l’adresser. Elle n’est que ma folie et mon rêve de te garder vivant près de moi.
Antinoès, mon bien-aimé, mon époux devant l’Éternel, l’unique homme qui ait posé ses lèvres sur moi.
*
* *
Pour que cette folie qui m’entoure aujourd’hui puisse être comprise, si cela se peut, il me faut commencer par notre départ de Suse.
Au lendemain de notre nuit
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