la Bible au Féminin 03 Lilah
Babylone.
— Ezra est très mécontent, raconta Sogdiam. Il trouve que nous ne sommes pas assez nombreux. Il pense que les Juifs de Babylone sauront mieux l’écouter que ceux de Suse.
Il nous fallut presque une lune pour atteindre Babylone. Nous dûmes descendre jusqu’à Larsa pour trouver un pont qui nous permît de traverser le grand fleuve, alors en crue.
Chaque journée était plus chaude que la précédente, mais un peu moins pénible. Nous nous accoutumions à monter et à démonter les tentes, à marcher sans fin, à raidir nos reins sur les bancs des chars. Pour beaucoup il était difficile de dormir avec les bruits de la nuit, les appels des fauves, le crissement des insectes et des serpents.
Pour moi, le feu des étoiles, les jeux de la lune et des nuages ravivaient la mémoire de nos nuits dans la tour de ta maison. Et ces souvenirs me rendaient la journée du lendemain plus facile tant je devenais indifférente aux mille désagréments d’un pareil périple.
Ezra avait envoyé Zacharie devant nous. Lorsque nous parvînmes à Babylone, on nous accueillit avec des chants et des fleurs. Une terre avait été préparée pour que nous puissions y dresser les tentes. Elle était si loin de la ville que l’on en voyait la grande ziggourat et ses jardins comme s’il s’agissait d’une montagne et non d’une construction.
C’est le lendemain de ce jour que je revis Ezra pour la première fois. Axatria et moi venions de disposer nos couches sous la tente lorsqu’il souleva la portière.
Je le reconnus à peine. Sa tunique était grise de poussière, ses cheveux hirsutes. Il me dit plus tard qu’il avait perdu l’anneau d’ivoire que je lui avais offert et qui les retenait habituellement. Sa maigreur et sa mauvaise mine faisaient peur. Ses yeux brillaient de fièvre. L’étui de cuir du rouleau de Moïse ne le quittait plus, de nuit comme de jour. Ses doigts se serraient si violemment autour que l’on voyait les os tendre la peau.
Assurément, il avait jeûné plus durement que tous.
Axatria ne put s’empêcher de montrer sa peine et de lui reprocher cette piteuse apparence. Il la fit taire sans ménagement et lui ordonna de nous laisser seuls. Ce qu’elle fit avec la plus parfaite soumission, sans se montrer fâchée le moins du monde.
Un peu plus tard, Sogdiam lui apporta une tisane et le regarda avec tristesse. Ezra ne prit qu’à peine conscience de sa présence.
— Pourquoi ta tente est-elle si loin de la mienne ? me demanda-t-il. Pourquoi ne t’ai-je pas vue depuis notre départ ? J’ai douté que tu sois dans la caravane.
Je lui ai répliqué qu’il n’avait eu aucune raison de douter de mon départ, puisque nous en étions convenus.
— Et je suis à ma place, ajoutai-je. Ceux qui t’entourent, tu les as choisis, et je ne crois pas que je serais la bienvenue parmi eux. Il ne semble pas ce soit la place d’une femme…
Il évita mon regard. Pendant un instant, Antinoès, tu aurais reconnu le jeune Ezra dont tu te moquais parfois. Beau et fragile comme une gazelle, plein de fougue et soudain perdu au milieu de son enthousiasme.
J’allais sourire et me moquer de lui lorsqu’il me dit :
— Maître Baruch me manque. Il n’est pas de jour sans que ses conseils ne me fassent défaut. Et toi aussi, tu me manques. Il n’y a aucune raison pour que tu te tiennes si loin.
Je lui demandai ce qui était si difficile. Il me répondit avec amertume que tout était difficile. Que rien de ce qu’il avait prévu n’allait comme il le voulait. Il essayait de suivre en toute chose la Loi de Moïse. Mais dès qu’il avançait d’un pas se dressaient mille obstacles.
— Et d’abord à cause de l’ignorance ! s’enflamma-t-il. Tu ne peux pas imaginer à quel point ceux qui nous accompagnent sont ignorants, Lilah. Ainsi, je ne trouve pas de lévites capables d’endosser la responsabilité des objets sacrés du Temple. Selon la Loi, c’est pourtant eux qui devront en prendre soin jusqu’à Jérusalem et les déposer dans le Temple. Dieu du ciel, comment est-ce possible ? Il semble qu’il n’existe plus aucun prêtre, dans toute la Babylonie, descendant des familles inscrites au registre de David ! Et les rares que je trouve, qui connaissent encore un tant soit peu leur devoir, ne peuvent faire l’affaire.
— Et pourquoi ? m’étonnai-je.
— Parce qu’ils n’ont plus de pouce !
C’était vrai. C’était devenu une tradition chez les lévites de
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