la Bible au Féminin 03 Lilah
d’épousailles arriva l’ordre qui nous sépara. Avant même la nuit suivante tu devais quitter Suse pour Karkemish, sur le haut Euphrate. Parysatis avait fait son œuvre. Elle nous séparait d’une main sûre.
Toi, autant que moi, tu payais le prix de la lettre au sceau d’Artaxerxès que des gardes de la Citadelle vinrent déposer entre les mains d’Ezra.
Zacharie monta sur un solide panier qu’apporta Sogdiam. Il lut le rouleau de papyrus d’une voix si puissante que même ceux qui se trouvaient dans la rue devant la maison purent entendre distinctement ses mots.
Moi, depuis, je les ai entendus si souvent répéter qu’aujourd’hui je peux les écrire comme on murmure un ressassement :
« Artaxerxès, Roi des rois, à Ezra, scribe de la Loi du Dieu du ciel :
Par moi ordre est donné à tous ceux qui, en mon royaume, font partie du peuple d’Israël, des prêtres ou des lévites, et se sont portés volontaires pour partir avec toi pour Jérusalem. Qu’ils y aillent, car tu es envoyé par le roi et ses sept conseillers pour ordonner la Judée et Jérusalem selon la Loi de ton Dieu… »
Chacun écoutait, bouche bée dans le froid, mais le cœur enfin réchauffé par ces mots qui soutenaient la volonté d’Ezra.
« Moi, Artaxerxès, poursuivait Zacharie, j’ordonne à tous les trésoriers de l’au-delà du fleuve d’agir comme le demande Ezra, de lui donner cent talents d’argent, cent kor de grain, cent bâts de vin, cent bâts d’huile et du sel sans compter… »
Quand la lettre fut lue en entier, il n’y eut pas d’explosion de joie comme lorsque Ezra avait quitté l’Apadana après son audience. Il n’y eut ni chants ni danse. Les visages, autour de moi, étaient graves et sérieux. Grandement respectueux.
La lettre d’Artaxerxès n’était pas seulement un ordre et un pouvoir. Elle témoignait combien la main de Yhwh était désormais sur Ezra. Ce que j’avais assuré depuis des mois et dont maître Baruch était également convaincu, chacun le constatait.
Il fallut encore plusieurs jours afin d’organiser le départ. Maintenant qu’il était assuré, les volontaires se pressaient par centaines et milliers. Beaucoup venaient des villages des alentours de Suse. Bientôt, la ville basse fut envahie et les habitants grondèrent. Zacharie obtint l’usage des terrains vagues, le long de la Chaour, après la ville basse, et y fit dresser les tentes.
Pourtant, si nombreux que fussent ceux qui décidaient de le suivre, Ezra ne pouvait s’en contenter. Il tempêtait : « Yhwh exigeait le retour de tout notre peuple à Jérusalem ! Pas seulement de quelques-uns ! »
Il envoya des jeunes gens pleins de fougue dans chaque maison juive de Suse. En réponse, mon oncle Mardochée et d’autres vinrent le visiter. Ils expliquèrent que toutes les familles ne pouvaient quitter Suse en abandonnant d’un revers de main l’ouvrage d’une vie, les fabriques, les ateliers, et même les postes et les emplois de la Citadelle qui souvent avaient été acquis aux premières années de l’exil.
— L’exil n’est plus, répliquait Ezra sans écouter leurs plaintes. Vous n’avez aucune bonne raison de demeurer chez le Perse. Sinon votre or et le confort de vos coussins.
Ainsi, durant cinq jours et cinq nuits, les maisons juives de Suse furent illuminées et vibrantes de pleurs autant que de joie. Il y avait ceux qui partaient et ceux qui restaient. Des pères envoyèrent des fils, des fils refusèrent de suivre les pères. Les amantes, les épouses, les sœurs étaient séparées ou tiraillées comme je l’étais moi-même.
Contrairement à mes craintes, tante Sarah ne me supplia pas de rester. Elle s’enferma dans sa chambre, les yeux rouges de pleurs et indifférente pour la première fois de sa vie à ce qui se passait dans l’atelier.
En vérité, ceux qui restaient portaient toute la tristesse. Celle de la séparation et celle de la honte. Les dures paroles d’Ezra accomplissaient leur œuvre à leur manière.
Afin de calmer sa colère et peut-être celle de Yhwh, ceux qui choisissaient de demeurer offrirent tout ce qu’ils purent de richesses. On nous donna quantité de chariots, de nourritures et de vêtements, de tapis et de tentes. Du petit et du gros bétail, des centaines de mules furent rassemblées. Certains offrirent même des esclaves et des serviteurs.
C’était d’étranges jours.
Et moi, je les vivais encore plus étrangement.
À
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