La bonne guerre
blanc, on nous a dit qu’on
allait participer à un spectacle aquatique ! On nous a fait plonger à
travers une nappe de pétrole enflammé. Après, ils nous ont dit de nous mettre
en tenue pour le défilé. On est tous passés à la fouille. Pas de fusils chargés,
même pas de canifs, mais on avait nos baïonnettes ! (Il rit.) Quand
on a défilé devant la tribune, on a vu le général MacArthur et le président
Roosevelt.
On savait que quelque chose se préparait, mais on ne savait
pas où on allait nous envoyer. Et puis le bruit a commencé à courir qu’on
allait partir en Afrique s’occuper de Rommel. Le gros de la 7 e division
avait été entraîné dans le désert Mojave, et ils se voyaient déjà en Afrique. Ils
se sont retrouvés dans les Aléoutiennes. Alors nous, on était sûrs qu’on était
bons pour l’Afrique. Et on s’est retrouvés à Yap, dans le Pacifique.
C’est là que je suis devenu sergent parce qu’on s’entraînait
dans la jungle, et que je connaissais les tropiques. C’est pour ça qu’ils m’ont
envoyé dans l’Alaska. (Il rit.) Au bout de trois semaines, il a fallu qu’ils
me renvoient dans le Pacifique, parce que je ne supportais pas ce foutu froid. Ça
me donnait la tremblote. (Il rit.)
Un soir on a entendu Tokyo Rose à la radio : « Bonsoir
à toute la 7 e d’infanterie. J’ai entendu dire que vous partiez pour
les Philippines. » Et elle n’avait pas tort. (Il rit.) On y est
restés d’octobre 44 à mars 45. Tout le temps en campagne.
Moi, j’étais courageux mais pas téméraire. Il y avait deux
Japonais avec nous qui nous servaient d’interprètes, et qui donnaient un peu
dans l’héroïsme. Quand ils voyaient un char s’approcher, ils grimpaient dessus,
ils se mettaient à parler japonais et à frapper à la tourelle jusqu’à ce qu’elle
s’ouvre et quand elle s’ouvrait ils balançaient une grenade à l’intérieur et
boum !
L’étape suivante, ça a été Okinawa. On a débarqué le 1 er avril 1945, sans résistance. Au bout de quelques jours, on a appris que le
président Roosevelt était mort. Ça nous a tous fichu le cafard. On a entendu
dire que c’était un certain Truman qui le remplaçait, et je me suis demandé qui
était ce Truman. On y est restés quatre-vingt-deux jours à Okinawa, et j’ai
fait le boulot qu’on me demandait de faire. Quand je voyais un Japonais, je le
descendais, et je me planquais. J’ai passé mon temps à descendre des types et à
me planquer, rien que ça. Et je n’ai pas arrêté d’avoir peur jusqu’à ce qu’on
ait pris la colline 87.
Ce qu’il y a eu de plus pénible dans la guerre et de plus
dur à Okinawa, c’est quand on a réussi à enterrer le général Ushijima et ses
hommes dans la grotte où ils se cachaient. Les Japonais se planquaient tout le
temps dans des grottes, les femmes, les enfants, les soldats. Nous, cette
fois-là, du sommet de la colline, on a fait rouler des barils d’essence, on a
tiré dedans, et ils ont explosé. Tout le monde était mort et enterré.
Moi, j’ai tué une Japonaise qui traversait un champ en
pleine nuit. Pourtant on distribuait des tracts pour prévenir les gens de ne
pas traverser les zones de combat la nuit parce qu’on ne voyait pas si c’était
des combattants. Il y avait un périmètre de sécurité, et tout ce qui passait
dedans, on tirait dessus. Cette nuit-là, j’ai tiré, etquand
le jour s’est levé, j’ai vu que c’était une femme avec son bébé, accroché dans
le dos. La balle l’avait traversée et était ressortie dans le dos du gosse.
Je ne m’en suis pas remis, ça m’obsède encore. J’ai vraiment
l’impression d’avoir commis un crime. On voit une ombre se faufiler dans le
noir, et on ne sait pas si c’est un soldat ou un civil.
À l’époque, je buvais quelque chose comme une bouteille de whisky
par jour. C’était de la fabrication maison, ou alors, quand je pouvais, je l’achetais.
Il n’y a que comme ça que je pouvais tuer, l’avais des amis japonais, et à
chaque fois que j’appuyais sur la gâchette ou que je nettoyais un trou d’homme
au lance-flammes, je ne pouvais pas m’empêcher de penser : « Qu’est-ce
qu’ils vont devenir chez lui quand il ne reviendra pas ? Il a sûrement une
femme, des gosses ou quelqu’un. »
On nous passait des films où on voyait les Japonaises
recevoir les cendres de leur mari sans broncher et sans verser une larme. Moi, je
savais que ce n’était pas comme
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