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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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rit.)
    Au bout d’un an, on m’a envoyé dans l’Utah pour travailler
dans une ferme betteravière. On ne pouvait quitter le camp qu’avec un contrat
de travail ou la garantie d’un emploi. Le propriétaire nous versait des sommes
ridicules que nous remettait notre contremaître. Nous étions à peu près une quinzaine
à travailler pour la récolte, et nous étions payés à la tâche. À la fin de la
saison, on retournait au camp.
    S’il y avait du travail pour nous dans une ville qui ne
faisait pas partie du commandement militaire de l’Ouest, on nous changeait de
région militaire. Moi, j’avais une place de magasinier qui m’attendait dans une
confiserie industrielle de Chicago à soixante-quinze cents de l’heure. En fait,
je ne suis resté qu’un an dans des camps. Ma sœur y est restée jusqu’à ce qu’ils
soient démantelés, à peu près trois ans et demi, et mon père y a passé quatre
ans et en a fait plusieurs.
    La première année, j’ai fait toutes sortes de petits boulots.
Et puis comme j’avais atteint l’âge de la conscription, il a fallu que je parte.
C’était vraiment cocasse, moi d’un côté qui étais dans l’armée, et de l’autre, mon
père et ma sœur qui attendaient la fin de la guerre dans un camp de concentration.
    J’étais dans la réserve, et au milieu de l’année 44, on ne m’avait
pas encore incorporé. C’est alors que j’ai reçu un télégramme de mon père m’annonçant
que ma mère était au plus mal. J’ai immédiatement quitté Chicago pour Amache dans
le Colorado, pour obtenir une permission en règle du commandement militaire de
l’Ouest. Ça m’a pris plusieurs jours, et pendant que j’attendais mes papiers ma
mère est décédée.
    Comme nous voulions que ses obsèques aient lieu au camp où
étaient mon père et ma sœur, j’ai décidé d’aller chercher son corps en
Californie. À Needles, j’ai été accueilli à la gare par un agent du FBI. Il
était chargé de me surveiller. Tout le temps que j’ai passé là-bas, il est
resté avec moi. Que j’aille me coucher ou que j’aille aux toilettes, il ne me
quittait pas d’une semelle.
    Dès qu’on est descendus du train à Los Angeles, il y avait
un type de la police militaire et un des garde-côtes pour m’accueillir. Ils m’ont
escorté dans la gare. C’était ce qu’il y a eu de plus… (Il ne trouve pas ses
mots.) Je ne sais même pas comment je pourrais décrire ça. D’un jour à l’autre,
j’allais me retrouver dans le même uniforme qu’eux. À cette époque-là, il y
avait toujours un monde fou dans les gares. Quand j’ai traversé la gare avec
mon escorte, les gens voyaient bien que j’étais asiatique. Ils devaient penser
que je m’étais évadé de prison ou que j’étais un espion. Ils m’ont insulté, et
j’ai entendu très distinctement : « Sale Jap. »
    Une fois qu’on a été à l’hôtel, l’agent du FBI a fait
comprendre aux deux autres que leur présence était inutile. Lui ne pouvait pas
faire autrement. Il était écœuré de voir tout ce qui se passait. Il savait que
j’étais dans la réserve et que j’étais citoyen américain. Il ne comprenait
vraiment pas pourquoi on lui avait demandé de me surveiller. C’étaient les
ordres. On se racontait nos vies. Sa femme allait avoir un bébé et il ne
pourrait pas être auprès d’elle. Il trouvait que c’était vraiment idiot.
    À Fort Knox, j’étais dans la division blindée. On nous a
envoyés à Fort Mead pour nous embarquer quand la guerre a été finie en Europe. Ils
ne savaient pas quoi faire de nous les Nippo-Américains. On était dans des
unités à part. Ils ne savaient pas s’ils devaient nous envoyer dans le
Pacifique. Ils auraient peut-être eu du mal à nous distinguer de l’ennemi. (Il
rit.)
    La guerre s’est terminée quand j’étais à Fort McDowell, sur
la baie de San Francisco. C’est là qu’arrivaient les prisonniers de guerre
japonais. Je me suis retrouvé avec une cargaison de prisonniers. Je me
demandais comment ils allaient réagir avec moi. J’ai été tout à fait surpris. Les
militaires de carrière qui avaient été faits prisonniers dès les premiers jours
de la campagne de Guadalcanal et de Saipan refusaient de croire que la guerre
était finie. Quand on abordait le sujet, ils ne faisaient que répéter que c’était
de la propagande. Avec les appelés, c’était différent. On s’entendait bien avec
eux. La plupart étaient très jeunes – des

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