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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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laborieuse, complète,
entrecoupée de merveilleux moments de détente. Nous quittons Vichy, que je ne
trouve plus triste du tout, et trimardons le cœur joyeux en direction de
Moulins, puis Nevers où je retrouve ma Loire. Normand se moque de moi car je
parle d’elle comme une maîtresse.
    — T’inquiète pas, mon beau chanteur, bientôt nous
verrons la Seine à Paris et crois-moi, il y a sûrement une grande différence.
    Et puis la Loire c’est le Cher… et le Cher c’est
Saint-Aignan. Tout se résume dans cette trilogie d’air, de terre et d’eau. En
route j’écris à ma mère, à Papa Rabier et à mon vieil Ours. À Briare, je suis
étonné par l’ampleur de l’industrie des boutons. Auparavant nous avions passé
de bons moments à Sancerre. À Gien nous visitons les usines de faïencerie. Je
suis surpris par le travail des ouvriers et des décorateurs. Tout me semble
magique et pourtant il suffirait d’un faux mouvement pour détruire ces belles
choses. Toujours chantant et marchant d’un bon pas nous atteignons Montargis,
Nemours, Fontainebleau et enfin Paris.

 
V
    Nous achetons un plan à un vendeur de rue pour nous rendre
chez la Mère, à la Cayenne de la rue Mabillon. Partout le spectacle est là
présent, changeant, surprenant. Le bruit infernal nous écrase les tympans. On y
voit de toutes les espèces d’hommes et de femmes. Normand, qui connaît un peu
la capitale, m’explique :
    — Tu vois Blois, les rues dans chaque quartier forment
à elles seules de petits villages. Tu en as des milliers comme ça. Ici un
charmeur d’oiseau place ses cages ; là des marchands de quatre saisons
devant leur charrette à deux roues, pleine de légumes, fleurs, fruits,
appellent les acheteurs. Voilà le gamin avec sa roue qui tourne sur le gros
tuyau est un marchand de plaisir. Si la flèche s’arrête sur le mot
« plaisir », il te donnera trois sous. La partie se joue à un sou et
tu sais presque d’avance que tu as peu de chance de gagner. Regarde à ta gauche
cet homme portant une immense hotte garnie de poireaux jusqu’au sommet ;
son métier est fort des Halles. La voiture à cheval que tu vois contre le
trottoir s’appelle un sapin. Tourne-toi vers le marchand de cacahuètes, celui
de marrons, le raccommodeur de porcelaine et là-bas, en te retournant, regarde
les boueux qui ramassent les ordures.
    Je m’arrête pour écouter le boniment d’un charlatan. Il vend
des pierres de santé qui écartent les maladies. Normand reprend :
    — Ça c’est un joueur d’orgue de barbarie avec sa gamine
chantant comme une casserole. Il va passer un vitrier et un marchand de peau de
lapin. Ces hommes crient des mots incompréhensibles à nos oreilles, mais les
gens les reconnaissent et les appellent depuis les étages. Voilà un vieux
marchand de mèches de fouet ; celui-là de statuettes en plâtre. Nous
allons bientôt passer le long des Halles et tu verras les marchandes de soupe.
Regarde ! la terrasse de ce café toute pleine ! Dans cette ville tout
existe, tout se fait et se défait, naît et disparaît comme par un tour de
passe-passe.
    — Intéressant, Normand. Mais je suis saoul de bruits.
    — Tu t’y habitueras, mon gars ; et quand tu seras
loin à nouveau, cela te manquera peut-être.
    — Tu ne me convaincras pas encore de me trouver à
l’aise dans cette fête foraine permanente.
    Le derrière gonflé des femmes m’amuse beaucoup. Elles
portent une sorte de veste très cintrée à la taille faisant saillir leur
poitrine, une robe tombant au fil à plomb sur le devant et bouffant à l’équerre
exagérément à l’arrière. Elles marchent comme des autruches que j’ai vues sur
des images. Leurs chapeaux sont garnis de plumes, de fleurs que je ne connais
pas. Je soupçonne que beaucoup de ces fanfreluches proviennent de ces fameuses
colonies dont on parle tant. Les hommes chics, d’après Normand, ont des
pantalons assez serrés aux jambes, une veste longue dont ils ne ferment que le
bouton du haut. Tous ces costumes ne me plaisent guère. Les gens qui
s’habillent ainsi ne doivent pas faire grand-chose de leurs dix doigts. En
revanche, les ouvriers, coiffés d’une casquette à large bord sur le devant, se
vêtent de paletots en gros tissu, larges ceintures de flanelle serrant leur
ventre et retenant les pantalons. Ils gardent leur mégot à la bouche en
s’affairant comme des souris agitées. Paris me paraît insaisissable, étrange,
construit d’îlots de

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