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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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mêlée à l’imprégnation de mon nez se confond aujourd’hui pour
m’offrir la plus pure vérité. Nous nous arrêtons dans un troquet pour casser
une petite croûte et boire du Bercy savamment travaillé, avant de reprendre
notre périple. Arrivé devant la grande porte des Établissements Maur je suis
pris en charge par un gardien qui me conduit directement dans le bureau du
patron. Le singe me regarde et d’une voix forte me lance :
    — Tout le portrait de ton père ! Mille
Dieux ! c’est fantastique. Comment va-t-il ?
    Alors simplement je lui conte mon aventure en glissant
plusieurs fois le nom de Rabier lors de mon court exposé.
    Monsieur Maur me sourit, hoche la tête puis me
propose :
    — Veux-tu travailler ici ? Tu as ta place !
    — Pour être franc, Monsieur, j’ai déjà une place chez
Lebrun et Cie auprès de Monsieur Balme.
    — Je connais bien tout ce monde et apprécie chacun. Tu
te diriges donc dans la ferraille, mon gars ?
    — Sans me vanter je connais bien le bois et la pierre.
Mais le fer me réserve encore quelques secrets cachés que j’aimerais découvrir.
Par contre, si je puis me permettre… je vous recommanderai un compagnon :
« Normand le Chanteur ».
    — Oh ! mais je le connais. Lelarge, est son nom de
famille ? Qu’il vienne ! il aura sa place.
    Nous retournons chez la Mère où j’ai droit, selon nos
règles, à recevoir les trois premiers repas gratuitement ; ainsi que le
coucher d’une seule nuit. Demain je paierai comme tous, en fin de semaine. Je
me lève de bonne heure et prends une de ces grosses voitures tirées par quatre
chevaux qui sillonnent la capitale. Un vrai plaisir pour moi ! Je descends
place Clichy et termine à pied. Au bureau je me présente à Frédéric Garot que
j’ai vu hier et qui m’accueille aimablement. Il ne me parle plus de mes
papiers, alors dans mes poches, et m’installe devant une table en me demandant
de lui faire un avant-projet de construction d’une passerelle. À midi nous
déjeunons chez un marchand de vins, un bougnat, dont la femme originaire de la
Creuse mitonne très bien le mironton. Quatre autres ingénieurs nous rejoignent.
Une bonne camaraderie s’établit entre nous et j’éprouve un grand plaisir les
jours suivants à me rendre au bureau. Frédéric m’indique une chambre qu’un chef
de chantier va quitter. Je prends donc sa place rue La Condamine. Je me
précipite à la poste pour télégraphier à mon gros Ours afin qu’il m’expédie
rapidement mes malles. Me voici chez moi, un nid pas luxueux mais propre. La
logeuse doit être une ancienne mère maquerelle à la retraite tant son visage
est maquillé du matin au soir et nombreux les cadavres de bouteilles de rhum
qui envahissent ses poubelles. Tous les dimanches je retrouve les amis de la
Cayenne dont Toulouse le Riche et ses envies de parcourir le monde. Mon travail
au bureau avance. Les ingénieurs paraissent contents.
    Dès son retour Monsieur Balme m’invite à dîner. Face à moi,
ce rouquin aux yeux verts fume la pipe et me parle beaucoup de papa Rabier. Il
m’interroge sur les différentes expériences de mon Tour de France. Il se dit
satisfait de mon travail et admire mon costume. Un petit tailleur juif m’a
confectionné un trois-pièces pour un prix abordable après avoir longuement
discuté.
    — Je me sens mal, vous savez, dans ces vêtements. Je
manque d’habitude.
    — Tu t’y feras, mon petit Blois. Moi aussi j’ai éprouvé
la même gêne dans les entournures. Je suis ravi quand je me change pour aller
sur les chantiers. Combien de temps restes-tu parmi nous ?
    — Après l’exécution du projet que vous m’avez donné, je
travaillerai sans doute sur les chantiers du centre de Paris, puis demanderai
un travail pour l’Exposition du centenaire.
    Monsieur Balme éclate de rire et me répond :
    — Mais nous avons des travaux en cours dans cette
périphérie. Ne crains rien ; je t’enverrai au grand air.
    — Merci infiniment, Monsieur, il me tarde d’y être.
    En effet, trois semaines plus tard, je me trouve au cœur de
la plus grande fusion des corps de métiers que j’aie jamais vue. Une véritable
fourmilière autour de la pierre, du bois, des ferrailles. Paris travaille à
plein bras. Ingénieurs, compagnons, ouvriers ensemble coulent, basculent,
taillent, montent, échafaudent, couvrent, percent, fouissent, contrôlent,
décorent… Les patrons passent, examinent, vérifient, gueulent. Le gâchis

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