Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
Vom Netzwerk:
de lui demander des
nouvelles de Léontine.
    — Elle profite de mon absence pour voir ses parents à
Saumur. Elle m’a chargé de te transmettre ses amitiés. Dans quelques jours nous
nous retrouverons ici. Je vois en son intérêt pour Paris un sentiment bien
féminin.
    Durant une bonne heure de marche, je suis heureux de me
retrouver seul avec lui. Il me parle d’une multitude de gens, de faits. De
temps en temps il glisse sa main sous mon bras comme un père le ferait avec son
fils. Nous entrons dans un beau café sur les boulevards et nous asseyons dans
un coin. Brusquement il me dit :
    — J’ai vu tes parents.
    La nouvelle me surprend. Il enchaîne en m’observant du coin
de l’œil.
    — Ils vieillissent, c’est normal, mais celui qui m’a
semblé le plus atteint est ton père. Le beau Blois La Science, cette montagne
de muscles et de vie se courbe. Ses mains tremblent ; des rides profondes
sillonnent son visage blême. Il a pleuré en parlant de toi. Ta mère aussi, bien
sûr, mais cela semble plus normal. Quant à tes sœurs et tes frères ils vont
bien. Tes mandats les aident énormément.
    — Je tiens ma parole, dis-je comme pour me défendre.
    — Oh ! je sais, je te connais. Quand iras-tu les
embrasser ?
    — Bientôt, pour le tirage au sort.
    — Et tu feras la paix ?
    — Oui, murmurai-je.
    — C’est bien. Je n’en attends pas moins de toi.
Saint-Aignan ne change pas. Toujours aussi intime et calme.
    — Pourquoi êtes-vous passé les voir ?
    — Parce que j’aime ton père et ta famille. Pour le
plaisir de bavarder un peu… pour pouvoir t’en parler aujourd’hui.
    — Bien ! Merci. Sincèrement merci.
    Des larmes se forment au coin de mes yeux ; mais je ne
veux pas qu’elles glissent. Alors je me mouche et m’essuie en débordant autour
de mon nez. Papa Rabier pose sa main sur la mienne et me tapote. Puis il me
donne une bourrade dans le dos et me propose :
    — On boit encore une verte et on va dîner ?
    Nous sortons et marchons à peine cent mètres pour entrer
dans un restaurant fin. Je me régale du dîner merveilleux. Une chaleur subite
m’envahit. Dans la vie, les moments forts vous oppressent. Pour ne pas avoir
l’air godiche, je me lève et vais pisser. À mon retour, je trouve à ma place un
alcool de poire provenant de Château-Gontier en Mayenne. Une pure merveille.
Papa Rabier me parle de notre siècle avec des images, des mots fougueux. Je
sens un homme heureux, surpris, fier de vivre son époque. Je ne l’ai jamais vu
ainsi.
    — Tout a éclaté après la guerre ; mais on en
sentait déjà la gestation avant. Dans tous les domaines, mon petit, la science
se trouve présente. On dirait que l’homme quitte sa torpeur. L’esprit et le
corps font chorus pour le bien de l’humanité, ou tout au moins je l’espère
profondément. Les tabous, les interdits, le désir du savoir, trop longtemps
étouffés par l’Église, éclatent. L’homme fouille, cherche, comprend, invente et
réussit les tâches qu’il s’est fixé. Il y a mille domaines de concrétisations.
Dans notre profession, les grands travaux publics sont légions : chemins
de fer, ponts, navigation, funiculaire et bientôt le métropolitain. En chimie,
physique, mécanique, hydraulique, de nouvelles matières, de nouveaux corps sont
nés. L’électricité éclairera bientôt chaque maison. La téléphonie nous reliera.
N’oublions pas la biologie, la physiologie, la microbiologie, l’asepsie, la
chirurgie. Quand on songe que l’homme connaît l’Afrique, les Amériques,
l’Australie, la Chine, on a l’impression que rien ne peut lui résister.
Parfois, même, il va peut-être trop loin en s’accaparant des territoires et des
peuples qui ne demandaient rien à personne. Mais enfin nous ne verrons pas les
conséquences de ce protectionnisme imposé. L’Eglise et l’État ont divorcé.
L’enseignement devient gratuit et obligatoire… Te rends-tu compte, mon gamin,
de l’époque que nous avons la chance de déguster.
    Papa Rabier part dans son monologue avec foi et orgueil. En
effet je me rends un peu compte, malgré mes presque vingt ans, de toutes les
richesses que nous possédons. C’est pourquoi je me dois de travailler de plus
en plus pour connaître les nouvelles méthodes et utiliser les inventions de notre
siècle. J’ai sûrement mal apprécié rue des Recollets, à l’école d’Angers, à
Bordeaux et maintenant à Paris, cette récolte de savoir que

Weitere Kostenlose Bücher