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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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Blois, à ta prochaine venue dans
notre chaîne.
    — Et je souhaite que tu t’y trouves à l’aise, ajoute
Balme en précisant : Ne t’attends pas au paradis ; sache que tu
entres dans une des plus dures écoles ; tu n’y auras aucun droit, des
devoirs seulement.
    Je réponds en souriant :
    — Ça ne me changera pas. Je ne vois pas d’autre moyen
de façonner ma vie.
    — Bien répondu, dit Balme en me tapant sur le dos.
    Puis, redevenant sérieux, il ajoute :
    — Dis donc, Blois, la gare de Lille marche bien.
L’Angoumois peut continuer seul. Si je te proposais de partir rejoindre les
charpentiers de chez Eiffel à Conflans-Sainte-Honorine ? On y construit un
pont de plus de cent mètres, d’une seule portée. Il doit enjamber l’Oise avant
qu’elle ne se jette dans la Seine.
    — Si vous voulez, je suis toujours prêt.
    — Et puis comme ça, tu te rapprocherais de Paris où
aura lieu la cérémonie, ajoute-t-il en clignant de l’œil.
    Je pars donc pour Conflans-Sainte-Honorine où je trouve
l’équipe Eiffel œuvrant dans la plus belle tradition
« compagnonnique ». Les Soubises, les Indiens, les Renards
travaillent ensemble dans un excellent esprit. Je reprends goût aux grands
chantiers qui, je l’avoue, me manquaient.
    Une lettre de ma mère m’apprend que mon frère Georges va
commencer son apprentissage chez un charpentier de Thésée. Encore un Bernardeau
qui suit la tradition.
     
    Une épreuve m’attend dans deux jours, mais celle-là me
restera gravée toute ma vie : ma réception maçonnique à la loge Travail et
Vrais Amis Fidèles, à l’Orient de Paris. Je ne peux raconter cette cérémonie, étant
partagé entre le secret et une sorte de pudeur intime mêlée d’orgueil.
Quoiqu’il en soit, j’avoue y trouver une nouvelle dimension. Quelques épreuves
ressemblent beaucoup à celles que j’ai subies lors de mon entrée au
campagnonnage. Les frères qui m’entourent sont très différents par l’âge, la
profession, et proviennent d’horizons les plus divers. Mon parrain, papa
Rabier, paraît très ému de me voir entrer dans cette école de réflexion. Devenu
apprenti franc-maçon pour ma vie entière, je remplace le maillon de la chaîne
que mon père a emporté dans sa tombe. Au cours de cette tenue, ainsi se nomment
nos réunions, je donne l’accolade à un certain nombre de frères. Parmi eux se
trouvent mes anciens ou actuels singes. Rentré chez moi je me couche en revivant
mentalement les impressions qui se succédèrent en mon esprit. Je rêve que mon
père parle doucement de choses qui me semblent importantes et dont il ne me
reste rien à mon réveil.
    Durant l’hiver 1890-1891 je prends quelques jours de repos
afin de retourner voir les miens. Marie, à vingt et un ans, joue le rôle de
seconde mère. Non seulement elle fait marcher la maison, mais elle se sacrifie
avec une certaine abnégation comme le font les aînés dans beaucoup de grandes
familles, en gardant toujours aux coins des lèvres un sourire un peu triste.
Julienne aura dix-huit ans bientôt et recopie des actes chez le notaire.
Georgette quinze ans travaille chez une des deux couturières de Saint-Aignan,
Madame Jobert, une grosse dame qui a du poil au menton. Georges, quatorze ans,
apprend la charpente avec avidité. Il discute avec moi et me pose beaucoup de
questions sur le métier. Henri, douze ans, se passionne pour la terre. Il aide
un vieux paysan, le père Mathieu, qui a perdu son fils des
« fièvres » à Madagascar durant son régiment. Frédéric, neuf ans, a
le diable dans la peau, travaille à l’école lorsqu’il le veut, mais, d’après
Marie, rarement. Je me fâche et exige de lui qu’il change de conduite.
    Ma mère, en son absence, me dit :
    — Ta grosse voix me rappelle ton père.
    Je constate la bonne tenue de la maison, facilitée par sa
situation saine. Je passe chez le notaire pour légaliser les papiers, comme il
avait été convenu.
    — Vous savez que l’acte que nous avons signé ayant trait
à la promesse de vente toujours valable, se trouve présentement difficile à
réaliser. La propriétaire décédée ne possède pas d’héritier. Nous devrons donc
attendre les formalités pour que vous puissiez régler la somme convenue. Ne
vous pressez pas. Je vous tiendrai au courant.
    Je quitte Saint-Aignan pour les Aubrais où j’attends mon
train vers Paris. Ce dernier a deux heures de retard, ce qui me met en colère.
À la buvette je lie

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