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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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conversation avec un homme d’âge mur, fort bien vêtu :
Michel Arnodin, un singe, qui évolue aussi dans la construction et les
ponts-et-chaussées. De fil en aiguille nous faisons plus ample connaissance. Il
s’intéresse à moi.
    — À Conflans-Sainte-Honorine, Monsieur, le chantier
touche à sa fin. J’aurais peut-être quelques propositions à vous faire, si cela
vous convient. Passez donc me voir à mon bureau à Paris. Voici ma carte… mais
pas avant trois semaines. À ce moment-là j’aurai, ou non, signé mon contrat
avec le gouvernement espagnol.
    Notre conversation s’arrête brusquement avec l’arrivée de
notre train. Michel Arnodin gagne le wagon de première. Moi je monte en
troisième classe. Tout le long du parcours, je pense aux idées que nous avons
échangées. L’Espagne se trouve dans le sud, au-delà des Pyrénées. La langue,
les habitudes diffèrent des nôtres, mais un pont reste un pont, peu importe la
latitude sous laquelle on le construit. Après tout, j’en parlerai à papa Rabier
ou à Balme. Ils doivent être au courant des marchés et des propositions
récentes.
    J’apprends en arrivant au bureau que monsieur Balme, parti à
Saigon, reviendra dans six mois. Deux jours après je vais chez les Rabier et
trouve Léontine au milieu de malles, valises et paquets.
    — La nouvelle va vous surprendre, mon cher Blois :
je vais rejoindre Gustave en Algérie.
    Mon air embarrassé la fait rire ; elle ajoute :
    — Ne vous inquiétez pas ; dans quelques mois nous
reviendrons. De toute façon, mon mari effectuera des va-et-vient entre Alger et
Marseille. Je vous donne notre adresse. Envoyez-nous surtout de vos nouvelles.
Si vous avez des ennuis, télégraphiez-nous… ou encore mieux : débarquez à
votre tour. La vie là-bas est épatante, vous vous y plairiez, j’en suis
certaine. Vous me pardonnerez de vous recevoir aussi mal ; demain je dois
prendre mon train et dans deux jours le bateau.
    Nous nous embrassons, puis je la laisse dans ses robes et
ses chapeaux.
    À ma table de restaurant, tout en mangeant, je me raisonne,
car ma déconvenue est grande. Voilà mes deux grands singes, toujours prêts à
bondir, se battre et gagner qui me quittent. Moi, j’ai l’habitude d’évoluer
entre leurs jambes, de ne rien faire sans leur en parler, en bon grand garçon
sage, mais manquant un peu d’envergure et de décisions personnelles. Ce constat
me peine. À bien réfléchir, je me pose la question : est-ce un mal pour un
bien ? À vingt-trois ans je devrais peut-être rompre le cordon ombilical
symbolique qui me lie à mes pères spirituels. Ceux-ci m’ont fait ce que je
suis. À moi donc de leur prouver que j’ai bien appris leurs leçons. Vue de
cette façon, ma situation se trouve positive et optimiste. Demain je regagnerai
Conflans-Sainte-Honorine et me remettrai au travail. Rien de tel pour guérir
les états d’âme !
    Il pleut, il fait froid. Le gilet que ma mère m’a tricoté et
offert me protège des rigueurs de l’hiver. Ainsi je sens ses bras autour de
moi. Les travaux qu’elle entreprend pour nous tous sont empreints d’amour et de
chaleur.
    Le chantier se termine. J’écris à monsieur Arnodin pour lui
annoncer ma visite. Les trois semaines de délai étant écoulées, il répond en
fixant un rendez-vous à son bureau, rue Bergère. Heureux de me revoir, cet
homme m’apprend qu’il a débuté comme petit singe en réparant les ponts que les
Allemands avaient endommagés lors de la guerre de 1870. Puis il s’est passionné
pour la construction des ponts suspendus et transbordeurs à péage.
    — Voyez ces photos prises d’une montgolfière.
Actuellement, j’ai un chantier sur le Trieux, à quelques kilomètres de Paimpol,
et un autre à Chalonnes. Connaissez-vous ce genre de travail ?
    — Je vous réponds avec franchise : un peu
seulement. J’ai surtout réalisé des ponts sur piles.
    — On m’a parlé de vous, monsieur Bernardeau… et en
bien !
    Je souris à cette remarque. J’observe l’homme. Un grand
gabarit aux mains puissantes et larges. Une barbe noire assez longue taillée en
balai orne son visage ; des yeux bleus très clairs, vifs et intelligents
semblent enchâssés dans des sourcils très fournis et sauvages. Il me parle avec
talent de sa spécialité et de quelques points de détail que l’on pourrait
encore améliorer. Il allume un gros cigare sans m’en offrir, puis
m’interroge :
    — Combien voulez-vous

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