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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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ramasse une poignée de terre et la jette en l’émiettant sur le
cercueil. Ma mère vacille sur ses jambes et tombe à genoux ; mes frères
pleurent en reniflant. Une grande couronne de fleurs arrive. Des mains la
posent sur la butte de terre, devant la tombe. Un ruban la traverse. On peut y
lire : « À toi, Blois La Science, mon compagnon, mon frère, mon
ami. » Je relève ma mère et la soutiens. Nous gagnons la sortie du
cimetière.
    Elle me dit tout bas, d’une pauvre voix :
    — Tu vois, mon grand, j’ai perdu l’homme de toute ma
vie. Il me reste toi. C’est encore une générosité du ciel. Si je venais à
disparaître à mon tour, veille sur tes frères et sœurs. Tu en es responsable et
je crois trop en toi pour en douter.
    Selon la coutume villageoise et
« compagnonnique », un repas nous attend à l’hôtel du Cheval Blanc.
Je fais asseoir ma mère qui jette lentement un regard humide sur chaque invité.
Papa Rabier me prend à part et me déclare :
    — Ne t’inquiète pour rien. J’ai tout organisé, et
réglé ; mais ceci reste entre nous. Léontine n’a pu m’accompagner. À
Saumur, une grippe la cloue au lit.
    — Je vous rembourserai, Monsieur Rabier, précisai-je
d’une voix rapide.
    — C’est déjà fait mon drôle. Ta présence, ton travail,
ton affection, durant toutes ces années, ont fait plus pour moi que le peu de
chose que je t’apporte aujourd’hui.
    Je baisse la tête et serre les mâchoires. Je ne peux ni
parler ni pleurer. C’est atroce. Il enchaîne en me tendant un verre de
blanc :
    — Tiens ! buvons à Blois La Science, il aurait
apprécié ce geste comme une communion.
    Le grand vide creusé par la perte de mon père se trouve
compensé par les multiples occupations auxquelles j’ai à faire face. Dans le
travail on trouve le baume contre les plus cruelles douleurs. À mon retour à
Paris, les propositions de chantier pleuvent. Monsieur Mangini me demande de
participer au percement d’un tunnel. Monsieur Maur aimerait me voir sur un
chantier de voies secondaires en Auvergne. Monsieur Balme me réclame pour la
construction de la gare de Lille ; enfin papa Rabier m’offre la
restauration d’une partie du château de Chaumont-sur-Loire qui appartient,
paraît-il, à la famille de Broglie. Tout m’intéresse, mais je me dois de
m’occuper des miens. C’est pourquoi j’opte pour Chaumont-sur-Loire plus proche
de Saint-Aignan que les autres localités. Le château a été échangé contre celui
de Chenonceaux, où résidait la favorite d’Henri II, Diane de Poitiers, sur
les injonctions de Marie de Médicis qui préférait les bords du Cher. Je mets
donc en route le chantier et ai la chance de trouver d’excellents tailleurs de
pierre à la Cayenne de Tours. La confiance que je mets en mes coteries me
permet de régler mes affaires de famille. Je fais vendre à ma mère sa maison et
je lui en loue une autre avec promesse d’achat sous trois ans, à la sortie de
Saint-Aignan en direction de Chatillon-sur-Indre. Cette bâtisse saine comprend
quatre chambres, une grande salle, au milieu d’un jardin clos où mes frères pourront
exercer leur talent de jardiniers potagers. Je complète le mobilier et le
linge. J’achète une cuisinière à bois, et mille et une petites choses
indispensables. Ma famille à l’abri, il ne me reste que peu d’argent, mais cela
m’est égal car je vais en gagner de plus en plus. Je passe mes dimanches au
milieu de toute ma tribu et je débrouille tous les soucis de la semaine. Seul
Frédéric, le dernier, m’oblige à sévir souvent. Gamin très indépendant,
égoïste, et sournois, il sait jouer de son charme comme un cabotin. À
l’occasion d’un aller-retour sur Paris, papa Rabier m’invite à déjeuner entre
hommes.
    — Il faudrait que tu nommes un responsable à Chaumont
et que tu partes à Lille. L’Angoumois y est toujours ; mais les travaux
avancent comme des escargots. Cela fera plaisir à Balme qui t’aime bien et à
grande confiance en toi.
    — Je suis d’accord. Je vais redresser la situation,
vous pouvez tous deux compter sur moi.
    — Je n’en attendais pas moins de toi.
    — D’autre part, monsieur Rabier, je désirerais en
savoir plus sur la franc-maçonnerie. Ces tabliers, le jour de l’enterrement de
mon père, me sont restés en mémoire. J’en ai conclu que Blois La Science était
l’un des vôtres, me serais-je trompé ?
    — Cet homme, de santé florissante, traçait

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