La case de L'oncle Tom
de pied au négrillon en jurant ; George, sans dire un mot, marcha droit au hangar.
Tom était resté étendu deux jours depuis la fatale nuit ; sans douleur aucune, chaque nerf ayant été émoussé, détruit. Presque tout le temps il demeura dans une sorte de tranquille torpeur ; le corps vigoureux et fortement constitué avait peine à relâcher l’âme qu’il emprisonnait. Dans l’obscurité de la nuit, de pauvres créatures désolées dérobaient quelques heures à leur insuffisant repos, pour lui venir rendre les services d’affection dont il avait été si libéral durant son temps d’épreuve. Les malheureux disciples avaient certes peu à offrir : – le verre d’eau froide, – mais donné, le cœur plein d’amour et les yeux ruisselants de larmes.
Ces larmes tombaient sur l’honnête et insensible visage, témoignages du regret tardif des pauvres ignorants païens que sa patience et son amour durant son martyre avaient soudain éveillés au repentir, et qui versaient d’amères prières au pied d’un Rédempteur, dont ils connaissaient à peine le nom, mais que jamais cœur fervent et simple n’invoqua en vain.
Cassy, qui se glissant hors de son refuge, avait écouté en cachette, et appris le sacrifice fait pour elle et pour Emmeline, s’était, la nuit d’avant, au risque d’être découverte, faufilée au chevet de Tom. Le peu de mots que l’âme aimante du martyr laissa tomber de ses mourantes lèvres, avait dissipé ce long hiver, fondu cette épaisse glace, que le désespoir et les souffrances de tant d’années avaient accumulée dans le sein de Cassy, et la pauvre femme attendrie avait pleuré et prié !
Quand George entra sous le hangar, il fut pris de vertige : son cœur se serra, ses genoux fléchirent.
« Est-il possible ! – est-il possible ! dit-il ; et il tomba à genoux près de l’agonisant. – Oncle Tom. – Mon pauvre ami, mon cher, mon vieil ami ! »
Quelque chose du son de la voix pénétra l’oreille du mourant ; il remua un peu et très-doucement la tête, sourit et murmura :
« Si Jésus touche le chevet,
Le lit entier n’est que duvet. »
Des larmes, qui faisaient honneur à son cœur viril, tombèrent des yeux du jeune homme, penché sur son vieil ami.
« Ô cher oncle Tom, éveillez-vous ! – parlez encore une fois, – ouvrez les yeux, – c’est votre petit Georgie, votre massa Georgie, – ne me reconnaissez-vous plus !
– Massa Georgie ! dit la faible voix ; et Tom rouvrit les yeux. – Massa Georgie ! » – et il parut troublé.
L’idée, le souvenir, se firent jour lentement dans son âme. Le vague regard devint fixe, l’œil s’éclaira, une lueur illumina les traits, les faibles et rudes mains se rapprochèrent, se joignirent, et deux larmes coulèrent le long des joues.
« Béni soit le Seigneur ! – c’est – ah ! c’est – c’est – tout ce qui me manquait ! Ils ne m’avaient pas oublié ! Ah ! cela réchauffe l’âme, – ça fait bien au pauvre vieux cœur ! À présent, oh ! je meurs content ! Bénis le Seigneur ô mon âme !
– Non, vous ne mourrez pas ! Il ne faut pas que vous mourriez ! Ne pensez pas à nous quitter : je viens vous racheter, je vous remmène ! s’écria George avec une impétueuse véhémence.
– Ô massa Georgie ! venu trop tard ; – c’est le Seigneur Jésus qui m’a acheté ; il m’appelle à sa demeure – J’ai hâte d’y aller. Mieux vaut le ciel que le Kintuck !
– Oh ! il ne faut pas mourir, cela me tuerait ! – Je me briserai le cœur de penser à ce que vous avez souffert, – et vous voir étendu là ! sous ce misérable hangar ! ô pauvre, pauvre cher ami !
– M’appelez pas pauvre, reprit Tom d’un ton solennel ; – j’ai été un pauvre misérable, mais autrefois. C’est passé, passé. Maintenant, je suis aux portes de gloire. Ô massa Georgie, le ciel est proche ! j’ai gagné la victoire ! – le Seigneur Jésus me l’a donnée ! – gloire soit à soit nom ! »
George, frappé de l’énergie avec laquelle ces phrases interrompues étaient prononcées, demeurait, plein de respect et silencieux, à contempler son vieil ami.
Tom lui serra la main et poursuivit, reprenant haleine presqu’à chaque mot :
« Faut pas le dire à Chloé. Pauvre âme ! trop terrible pour elle. Seulement lui dire que vous m’avez trouvé près d’entrer dans la gloire, et que je pouvais pas rester pour personne. –
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