La case de L'oncle Tom
conversation.
Quand les voix moururent dans le silence, elle se releva et se coula dehors. Pâle, frissonnante, les traits contractés, les lèvres serrées, ce n’était plus la douce et timide créature qu’elle avait été jusque-là. Avec précaution elle enfila le passage, s’arrêta une seconde à la porte de sa maîtresse, levant les mains au ciel, muette invocation ! puis se détournant, elle se faufila dans sa chambre. C’était une petite pièce tranquille et propre sur le même palier que l’appartement des maîtres. Que de fois elle s’était assise devant cette petite fenêtre au soleil ! c’était là qu’elle chantait en cousant. Sur ces étroites tablettes garnies de quelques livres, s’étalaient de chères babioles, dons de jours de naissance et de fêtes ; dans l’armoire, dans les tiroirs, se rangeait sa modeste toilette. Bref, c’était son logis à elle, où longtemps elle avait été heureuse. Mais là, sur ce lit, dormait son fils ; de longues boucles soyeuses encadraient l’innocent visage, sa bouche rosée demeurait entr’ouverte, ses petites mains potelées reposaient négligemment sur la couverture, et un radieux sourire éclairait tous ses traits.
« Pauvre garçon ! pauvre chéri ! – Ils t’ont vendu ! mais ta mère te sauvera ! »
Aucune larme n’humecta l’oreiller : à de tels moments ce sont des gouttes de sang que le cœur distille en silence ; elle saisit une feuille de papier, un crayon, et écrivit en toute hâte :
« Oh maîtresse ! chère maîtresse ! ne me croyez pas ingrate, ne pensez pas mal de moi, pas du tout, maîtresse. J’ai entendu ce que le maître et vous avez dit ce soir, et je vais tâcher de sauver mon garçon. Vous ne me blâmerez pas, vous. – Dieu vous bénisse et vous récompense de toutes vos bontés ! »
Elle plia et adressa précipitamment la lettre, courut à un tiroir, roula pour son fils un petit paquet de hardes, qu’elle attacha solidement autour d’elle ; et la sollicitude maternelle est si tendre, que, même dans la terreur du moment, elle n’oublia pas de prendre quelques-uns des jouets favoris de l’enfant, réservant un perroquet peint de brillantes couleurs, pour l’amuser au réveil. Ce ne fut pas sans peine qu’elle tira le petit dormeur de son profond somme ; mais après quelques efforts, elle l’assit sur son séant, et tandis que la mère mettait un chapeau et un châle, l’enfant joua avec son oiseau.
« Où donc va maman ? » demanda-t-il lorsqu’elle s’approcha du lit, tenant la jaquette et le petit manteau.
Sa mère le regarda de si près, entre les yeux, et avec une expression telle, qu’il devina que quelque chose d’étrange se passait.
« Chut ! Henri, dit-elle ; faut pas parler haut, faut pas qu’ils entendent. Un vilain homme est venu pour prendre le petit Henri à sa maman, et l’emporter loin, bien loin. Mais maman ne veut pas ; elle mettra au petit garçon sa jaquette et son manteau, et elle se sauvera avec lui, et le méchant homme ne l’attrapera pas. »
En parlant, elle avait passé à l’enfant et agrafé sur lui son simple attirail ; le prenant entre ses bras, elle lui murmura à l’oreille l’injonction d’être « bien sage ; » et ouvrant la porte qui, de sa chambre, conduisait sous la véranda, elle se glissa dehors.
C’était par une nuit étoilée, froide et étincelante ; la mère serra son châle autour de l’enfant qui, muet de terreur, se collait à son cou.
Le vieux Bruno, grand terre-neuve qui couchait sous le porche, se leva avec un sourd grognement à son approche. Elle murmura doucement le nom de l’animal, et ce favori, ancien camarade de ses jeux, remua aussitôt la queue et se disposa à la suivre, non sans avoir l’air de s’étonner, en son simple cerveau de chien, de la nocturne promenade. Quelques obscurs soupçons d’imprudence, de manque de décorum, traversèrent même son honnête pensée, et tandis qu’Éliza allongeait des pas furtifs, il s’arrêtait, regardait d’un air soucieux, tantôt la fugitive, tantôt le logis ; puis, comme rassuré par ses réflexions, il trottait de nouveau après elle. En quelques minutes ils arrivèrent à la fenêtre de la case de l’oncle Tom, et Éliza frappa légèrement à la vitre.
L’assemblée religieuse s’était prolongée, grâce aux chants, et l’oncle Tom s’étant accordé en outre plusieurs solos, ni lui ni sa compagne ne dormaient encore, quoi-qu’il
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