La case de L'oncle Tom
céans de fort étranges choses, dit Haley entrant brusquement au salon. Comment ! la fille est, dit-on, au diable et son marmot avec elle ?
– Monsieur Haley, madame Shelby est présente, dit monsieur Shelby.
– Pardon, madame, et Haley salua légèrement, le front de plus en plus rembruni. Je n’en répète pas moins que la nouvelle est des plus étranges : est-elle vraie, monsieur ?
– Monsieur, répliqua M. Shelby, si vous avez à me parler, j’ai droit d’exiger de vous les égards qui s’observent entre gens bien nés. Andy ! débarrassez monsieur de son chapeau et de sa cravache. – Prenez un siège, monsieur. – Oui, monsieur, je regrette d’avoir à vous dire que la jeune femme, exaspérée parce qu’elle a appris ou deviné de notre affaire, s’est emparée de l’enfant, et a pris la fuite cette nuit même.
– Je m’attendais qu’on jouerait franc jeu avec moi, je l’avoue, grommela Haley.
– Qu’est-ce à dire, monsieur ? s’écria Shelby se retournant avec vivacité. Que prétendez-vous faire entendre ? si qui que ce soit s’avise de mettre en question mon honneur, je n’ai qu’une réponse à faire. »
Le trafiquant blanchit quelque peu à cette réplique, et repartit sur un ton plus bas : « C’est diablement dur, tout de même, pour un brave homme qui a fait un marché loyal, d’être floué de la sorte !
– Si je ne faisais la part de votre désappointement, monsieur Haley, reprit Shelby, je n’aurais pas supporté votre façon cavalière de pénétrer chez moi ce matin ; mais, quelles que soient les apparences, je persiste à répéter que je ne supporterais pas la moindre allusion à une connivence déloyale dont je suis incapable. Je me regarde, du reste, comme obligé de vous prêter toute assistance. Chevaux, domestiques, tout ce qui peut vous aider à recouvrer votre propriété est à vos ordres. – Bref, poursuivit-il, retombant soudain de son ton de froide dignité à sa bonhomie habituelle et familière : ce qu’il y a de mieux à faire pour vous, Haley, croyez-moi, c’est de redevenir bon enfant, de déjeuner en paix, et nous aviserons ensuite. »
Madame Shelby se leva : ses occupations, dit-elle, ne lui permettraient pas de faire, ce matin, les honneurs de sa table, et laissant la chambre, elle chargea une digne matrone mulâtre du soin de servir le café.
« La brave dame ne raffole pas de votre humble serviteur, dit Haley, avec un effort maladroit pour se mettre à l’aise.
– Je ne suis pas habitué à entendre parler de ma femme sur ce ton, répliqua sèchement M. Shelby.
– Pardon ! excuse ! affaire de plaisanterie, voyez-vous ! dit Haley avec un rire forcé.
– Il est des plaisanteries plus agréables les unes que les autres, repartit Shelby.
– Peste ! il s’est joliment enhardi depuis que j’ai signé les quittances. Le diable l’enlève ! murmura Haley à lui-même. Il tranche du grand, pour l’heure ! »
Jamais, dans aucune cour, chute de premier ministre n’occasionna plus d’orageuses sensations que la nouvelle du destin de Tom n’en souleva parmi ses camarades. Ce thème revenait incessamment, partout, dans toutes les bouches, et l’on ne taisait autre chose, à la maison et au dehors, que discuter les résultats probables de cet événement. La fuite d’Éliza (sans précédents sur l’habitation) venait encore stimuler l’excitation générale.
Sam le Noir, ainsi nommé parce qu’il avait environ trois couches d’ombre en plus que les autres fils d’ébène de l’endroit, Sam tournait et retournait le sujet sous toutes ses faces, avec une finesse de perception et une justesse de prévision, quant aux conséquences en rapport avec son bien-être personnel, qui eussent fait honneur au plus madré patriote blanc de Washington.
« C’est un mauvais vent celui qui souffl’ nulle part, – vrai ! dit Sam, d’un ton sentencieux ; et il releva sa culotte par un tour de reins, ajustant avec adresse un long clou à la place d’un bouton absent ; trait de génie mécanique qu’il contempla ensuite avec une évidente satisfaction ; – oui, être mauvais le vent qui souffl’ nulle part ! répéta-t-il ; v’là Tom en bas ! – place en haut pour quelque autre nèg’ ; – pourquoi pas Sam l’autre nèg’ ? – Tom allait par ci, Tom allait par là, toujours la passe en poche et les bottes cirées, lui, Tom, un quasi massa. Maintenant, pourquoi pas le tour à
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