La case de L'oncle Tom
Sam ?
– Ohé, Sam, ohé ! maître veut que tu lui amènes Bill et Jerry, cria Andy, coupant court au soliloque.
– Hé, oh ! quoi qui est en l’air, à présent, petit ?
– Bon ! tu sais pas, p’t-être ! Lizie a pris ses jambes à son cou, et file avec le marmot.
– Va, enseigne à ta grand’mère, reprit Sam, avec un ineffable dédain. Je savais tout ça en masse ; le nèg’ est pas si vert, va !
– Tout d’même maître veut Bill et Jerry sellés et bridés au plus vite ; et toi, moi, et massa Haley, allons courir après Lizie.
– Bon ! nous y v’là. C’est Sam, à présent. Sam est le nèg’. On va voir comment je vous l’attraperai ! maître saura ce que vaut Sam.
– Ah ! mais, Sam ! regardes-y à deux fois, vois-tu ! car maîtresse ne veut pas Lizie être happée ; et la main de maîtresse est bien près de ta laine.
– Eh, oh ! cria Sam, écarquillant les yeux ; comment sais-tu ça, petit ?
– Moi l’avoir entendu de mes oreilles, ce même béni matin, comme je portais à maître l’eau pour sa barbe. C’est moi que maîtresse a envoyé voir pourquoi Lizie ne venait pas rhabiller ; et quand j’ai dit que Lizie était partie, maîtresse se soulever sur son séant et crier : « Dieu soit loué ! » Maître, tout en colère : « Vous êtes folle ! » qu’il a dit, le maître ; mais maîtresse sait le tourner : Dieu me bénisse ! Le côté de la haie de maîtresse est encore le plus sûr. »
Là-dessus, Sam le Noir gratta sa caboche laineuse qui, à défaut d’autre science, était largement pourvue de celle que prisent le plus les hommes politiques de tous pays et de toute couleur. Il savait, comme on dit, à merveille de quel côté son pain était beurré. Enseveli dans de profondes méditations, il relevait et tiraillait, encore et encore, sa culotte, geste favori qui l’assistait d’ordinaire dans ses préoccupations mentales.
« N’y a pas à se fier à quoi que ce soit, – non, – ce monde ici est une attrape, dit enfin Sam, parlant en philosophe, et accentuant l’adverbe en homme de vaste expérience au fait de bon nombre d’autres genres de mondes, et qui juge avec connaissance de cause ; – j’aurais gagé, poursuivit-il enfin, que maîtresse allait mettre toutes nos jambes après Lizie.
– Pour la ravoir, oui-dà ! mais toi, grand noir nèg’ pas savoir guigner au travers d’une échelle ! maîtresse ne veut pas que massa Haley agrippe le petit à Lizie ; voilà l’histoire.
– Ohé, oh ! cria Sam, avec cette étrange intonation gutturale connue seulement de ceux qui ont vécu parmi les nègres.
– Je t’en dirais encore plus long, poursuivit Andy ; mais il faut amener les chevaux et vite, car j’ai entendu maîtresse s’enquérir de toi. Assez musé comme ça. »
Sam se pressa alors tout de bon, et reparut bientôt, chevauchant d’un air superbe, et se dirigeant vers la maison avec Jerry et Bill en plein galop. Sans rien rabattre de leur fougue, il sauta légèrement de côté, leur fit raser, comme un tourbillon, le bord du montoir, et les arrêta net devant. Le poulain de Haley, bête jeune et ombrageuse, rua, se cabra, secouant violemment son licol.
« Ho ! ho ! nous sommes chatouilleux, dit Sam, et un éclair de malice illumina son noir visage ; – la, la ! je vous vas soigner. »
Un large hêtre ombrageait l’endroit, et jonchait le sol de ses petits fruits triangulaires. Sam en prit un entre ses doigts, et s’approcha du poulain, qu’il caressa et flatta doucement, comme pour le calmer. Se donnant l’air de redresser la selle, il la souleva, et glissa dessous avec adresse la petite faine aux coins aigus, de façon à ce que le moindre poids qui appuierait dessus irritât outre mesure la sensibilité nerveuse du poney, sans laisser sur son dos la plus légère marque.
« Là ! moi soigner li, » dit Sam, roulant ses prunelles et s’accordant à lui-même une grimace d’approbation.
En ce moment, madame Shelby, se montrant au balcon, lui fit signe d’approcher. Aussi déterminé à bien faire sa cour qu’aucun solliciteur d’emplois vacants à Washington ou à Saint-James, Sam s’avança aussitôt.
« Vous avez bien tardé, Sam, pourquoi cela ? j’avais chargé Andy de vous presser.
– Le bon Dieu bénisse maîtresse ! Les chevaux se laissent pas attraper à la minute ; eux gambader là-bas, là-bas, à travers les grands herbages du sud, et Dieu sait
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