La case de L'oncle Tom
où !
– Combien de fois vous ai-je répété, Sam, – de ne pas dire : « Dieu vous bénisse ! Dieu sait ! » et autres choses semblables ! c’est mal.
– Le bon Dieu bénisse mon âme ! Je l’oublie pas, maîtresse, moi le dire jamais, jamais.
– Mais, Sam, vous venez de le redire encore.
– Moi ! oh Seigneur Dieu ! non, j’ai pas dit ! – le dirai jamais plus.
– Faites-y attention, désormais.
– Maîtresse, laissez à Sam seulement le temps de souffler, et il repart du pied droit. Tout attention, à présent.
– Eh bien, Sam, c’est vous qui accompagnerez M. Haley pour lui enseigner la route et lui venir en aide. Ayez grand soin des chevaux, Sam. Vous savez que Jerry boitait un peu la semaine passée ; ne poussez pas trop vos bêtes. »
Ces derniers mots, dits à voix basse, furent énergiquement accentués.
« Laissez faire à l’innocent, au nèg’, maîtresse, répliqua Sam avec un roulement d’yeux des plus expressifs, Li bon Dieu sait… Holà, moi pas dire ! » et il ravala son souffle avec une grimace d’appréhension tellement drôle, qu’en dépit d’elle-même madame Shelby se mit à rire. « Oui, oui, maîtresse, Sam aura l’œil aux chevaux.
– Maintenant, à nous deux, Andy, poursuivit Sam, revenu sous le hêtre à son quartier d’observation. Vois-tu, moi, pas surpris si le poney au massa fait des frasques quand le massa montera dessus. Tu sais, Andy, le poulain aura des caprices ! » et Sam allongea dans les côtes de son camarade une poussée significative.
« Eh, oh ! répliqua Andy, d’un air de parfaite compréhension.
– Oui-dà ! vois-tu, Andy, maîtresse veut gagner du temps. Pas besoin de mettre ses lunettes pour voir ça. Moi, j’ai déjà travaillé un brin pour elle. Attention, Andy ! les chevaux lâchés, eux cabrioler de çà, de là, par prés, par bois, et moi, le garantir, massa pas partir en hâte. »
Andy ricana.
« Attention, Andy, attention ! Si (possib’, vois-tu), si le poney à massa Haley s’avise de regimber et détale, – une supposition, Andy, – nous lâcher les deux autres chevaux pour courir à l’ aide ; oh ! oui, bien aider massa ! » et Sam et Andy, chacun se renversant la tête sur l’épaule, faisant claquer leurs doigts et gambader leurs jambes, se livrèrent, avec d’inexprimables délices, à des rires étouffés.
Quelque peu adouci par une tasse du meilleur café, maître Haley fit alors son apparition sous la véranda. Il arrivait souriant, causant, presque de bonne humeur. Sam et Andy décrochèrent quelques lambeaux de feuilles de palmier tressées, qui d’habitude leur servaient de chapeau, et coururent se planter de piquet, proche l’étrier, tout prêts à « aider massa ! »
Ingénieusement dépouillée de tout ce qui pouvait faire illusion en fait de bords, la feuille de Sam s’écartait en éventail avec roideur, rappelant assez, dans sa désinvolture effrontée, la coiffure d’un chef sauvage. Au contraire, la palme d’Andy, étant dépourvue de fond, et n’ayant que le tour, il se la ficha sur la tête d’un air radieux. « Qui donc, semblait-il dire, s’avise de supposer que je n’ai point de chapeau ? »
« Alerte, enfants ! en route, dit Haley, et sans retard !
– Pas une minute, massa, » dit Sam qui présentait les rênes et tenait l’étrier, tandis qu’Andy détachait les deux autres chevaux.
À peine Haley touchait la selle que le fougueux animal bondit de terre, et, d’un soudain écart, jeta son maître à quelques pas de là sur le gazon sec et uni. Sam, avec de furibondes exclamations, sauta sur la bride, et réussit seulement à darder les rayons de sa coiffure dans les yeux du cheval, ce qui contribua si peu à le pacifier que, renversant le nègre, il se cabra, renifla deux ou trois fois d’une façon méprisante, lança vigoureusement ses quatre fers en l’air, et descendit la pelouse au galop, suivi de Jerry et de Bill, qu’Andy, fidèle aux injonctions reçues, n’avait pas manqué de lâcher, les expédiant avec force imprécations. Il s’ensuivit une scène de tumulte : Sam et Andy couraient de ça, de là, en vociférant, les chiens aboyaient dans toutes les directions, et Mike, Moïse, Mandy, Fanny, tous les petits moricauds et moricaudes de l’habitation, bondissaient, trottinaient, appelaient, frappaient des mains, hurlaient avec le plus pernicieux empressement et le plus infatigable zèle.
Le poulain
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