La case de L'oncle Tom
l’ont condamné à d’énormes dommages et intérêts. De jugement en jugement il s’est vu dépouillé de sa ferme et de tout ce qu’il possédait. Madame Stowe a donc fait une bonne et courageuse action en assurant au dévouement du brave John une part de sa popularité.
Tant que ces tristes scènes se succédèrent au dehors, madame Stowe ne jouit qu’imparfaitement de l’affectueuse sérénité de son intérieur. Le contraste était trop pénible pour un esprit aussi juste, pour un cœur aussi aimant, il existait aux environs de Walnut-Hills un petit hameau peuplé d’esclaves affranchis. C’est la que s’exerçait son active sollicitude pour les pauvres parias : elle les visitait souvent ; elle écoutait les naïfs récits de leurs souffrances passées, de leurs longues luttes. À défaut d’école où les enfants de couleur fussent admis, elle leur ouvrait sa maison et les appelait àprendre leur part des instructions qu’elle faisait chaque jour à sa famille. C’est là aussi qu’elle trouvait des aides fidèles, serviables, dévouées pour aider aux soins de son ménage : leur affection lui allégea un peu l’une des plus grandes douleurs qu’elle ait ressenties.
Le choléra sévissait avec une effroyable intensité ; plus de neuf mille personnes avaient succombé en quelques jours dans le voisinage de Cincinnati. La panique était si grande que tous fuyaient devant le redoutable fléau. D’une santé délicate, restée seule avec six enfants, par suite d’une absence momentanée de son mari, qu’elle avait supplié de ne pas revenir, le médecin assurant qu’il y allait de sa vie s’il rentrait dans cette atmosphère viciée, madame Stowe eut l’inexprimable angoisse de voir un de ses bien-aimés pris de l’horrible mal. Elle assista, impuissante, à la cruelle agonie du cher petit Être qu’elle eût voulu sauver au prix de tout son sang.
À cette heure suprême une pauvre négresse, qui, elle, n’avait pas songé à fuir, souffrit, pleura et pria avec elle. La même bonne et fidèle créature la soigna pendant l’accablement qui suivit cette perte. Elle put apprécier toute la profondeur de dévouement de cette race sympathique, et sa propre douleur lui révéla ce que ressentent ces milliers de pauvres mères, auxquelles on arrache leurs enfants comme on ôte aux brebis leurs agneaux.
En 1850, lorsqu’un acte impie de la législation américaine commanda à tous les citoyens des États libres, sous peine d’amendes ruineuses, de livrer les esclaves fugitifs, madame Beecher Stowe, de retour à la Nouvelle-Angleterre, sentit bouillonner dans son sein une indignation trop longtemps contenue. Elle se dit que pour discuter, même l’application d’une semblable loi, des chrétiens devaient ignorer les horreurs de l’esclavage. Elle ne les connaissait que trop bien. Pendant son séjour sur les limites des États à esclaves, elle avait fait de fréquentes excursions au Kentucky, à la Virginie, au Maryland, dans une partie de l’extrême Sud ; elle y avait vu fonctionner ce mécanisme impitoyable qui broie les cœurs et les corps pour en extraire plus d’efforts et de labeurs. Elle avait rencontré, il est vrai, quelques propriétaires humains, nobles, généreux, tels qu’elle s’est plu à les peindre dans le manufacturier Wilson, Saint-Clair, madame Shelby et son fils George ; mais, elle n’en avait pas moins rapporté l’intime conviction que « la chose en elle-même était haïssable, » et le système légal qui la sanctionnait, odieux. Son désir de faire passer cette conviction dans les âmes lui inspira le pathétique récit de « la mort de l’oncle Tom. » Elle l’écrivit tout d’abord ; le plan de l’ouvrage ne fut conçu qu’après. Publié par chapitre dans « l’Ère nationale, » à Washington, au commencement de l’été de 1851, il parut en volume le 20 mars 1852, à Boston. Plus de cinq mille exemplaires se vendirent la première semaine, et cent cinquante mille étaient écoulés en novembre dernier. Aujourd’hui on ne saurait assigner de limites à une popularité qui, des États-Unis, a gagné le monde entier [2] .
Ce livre est, nous l’espérons, le précurseur de l’abolition complète de l’esclavage. L’humanité tout entière ne se sera pas émue en vain. L’Europe n’aura pas en vain compati aux tortures, assisté au martyre de l’humble Tom. Cités à la barre des nations, les États du Sud rougiraient
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