La chambre ardente
22 février 1680, quand on la conduisait en place de Grève, qu'elle n'avait aucune autre déclaration à faire.
La foule était là pour la voir s'agenouiller sur le parvis de Notre-Dame, tenant son cierge de deux livres, mais, d'un mouvement brusque, se redressant, massive dans sa tunique de bure, repoussant le crucifix, se débattant quand le bourreau la poussa dans le tombereau puis l'attacha avec les chaînes au bûcher.
Elle jura.
Elle dit qu'« un grand nombre de personnes de toutes sortes de conditions et de qualité se sont adressées à elle pour demander la mort et les moyens de faire mourir beaucoup de personnes, et que c'est la débauche qui est la première cause de tous ces désordres ».
On ensevelit son corps sous les fagots et les bottes de paille qu'elle tenta de repousser, criant encore, mais ne lançant aucun nom, puis le bourreau plongea sa torche dans la paille et la fumée noire étouffa la Voisin.
Et les flammes firent leur office.
IX.
La beauté extrême
Le corps de la Voisin a donc été réduit à quelques poignées de cendres mêlées à celles des fagots et de la paille. Les aides du bourreau les recueillent et les jettent au vent, depuis les rives de la Seine, dans le fleuve qui les engloutit et les emporte.
Et l'on a pu croire, Illustrissimes Seigneuries, que l'on ne parlerait plus d'affaire des poisons dans le royaume de France.
Et ce fut en effet, pour quelques jours, en cette fin d'hiver 1680, comme un grand souffle de soulagement.
On me répétait que la marquise de Sévigné avait lancé le soir même de la mort de la Voisin :
– L'affaire des poisons est tout aplatie, on ne dit plus rien de nouveau.
Mais le visage préoccupé de Nicolas Gabriel de La Reynie démentait ces propos rassurants. Et quand je les lui rapportais, il maugréait :
– Que Dieu le veuille !
Et aujourd'hui, alors que j'ai devant moi les copies des documents qu'il m'a remises avant sa mort, je comprends les causes de ses soucis.
Parce qu'il était le maître des enquêtes, celui qui interrogeait les emprisonnés qui n'étaient pas encore jugés, il savait que l'affaire des poisons était comme une plaie que l'on croit cicatrisée et qui, tout à coup, se rouvre, laissant jaillir le pus dont elle était gorgée. Et l'on craignait alors la gangrène.
C'est la Voisin morte qui mène le bal.
On se souvient qu'elle s'est rendue au mois de mars 1679 à la Cour, à Saint-Germain, pour remettre un placet au Roi. Qu'elle n'y parvint pas et qu'elle fit une nouvelle tentative tout aussi infructueuse.
Elle avait prétendu qu'elle voulait solliciter l'intervention du Roi afin qu'il délivrât le faux-monnayeur Blessis, retenu par le marquis des Termes.
Elle s'était exclamée, on en avait témoignage, constatant son échec à atteindre le souverain :
– Il faut que j'en périsse ou que je vienne à bout de mon dessein !
Cette obstination avait paru étrange à La Reynie.
Il s'était souvenu des poudres qui, sur le tissu d'une chemise ou dans des gants, sur les bords d'un verre ou d'un bol, peuvent empoisonner celui qui les touche.
Il voulut aller jusqu'au bout de ces doutes qui l'empêchaient de trouver l'apaisement, alors même qu'autour de lui on se réjouissait d'en avoir fini avec l'« affaire », et que le Roi et le ministre Louvois paraissaient disposés à dissoudre la Chambre ardente, puisque la Voisin avait subi son châtiment et que les gens de condition avaient comparu ou s'étaient mis hors de portée des juges.
Il restait dans les cachots du château de Vincennes Marie-Marguerite Voisin, la fille de la Voisin.
Elle était jusqu'alors restée muette, secouant la tête quand on l'interrogeait, le corps tremblant comme si elle était possédée par la peur.
Dans un cachot voisin on avait jeté une petite femme au visage anguleux, la Filastre, qu'on avait arrêtée à son retour d'Auvergne où elle s'était rendue, disait-elle, pour lever un trésor et sans doute pour rapporter à la Voisin, avec qui elle était en relation, des plantes à poison.
Non loin de là, dans ce même château de Vincennes, une autre devineresse et empoisonneuse, la Trianon, croupissait.
Et bientôt les rejoignit l'abbé Guibourg, complice de Lesage, ce dernier, toujours vivant, ayant échappé au bourreau pour avoir parlé et servi ainsi les desseins de Louvois.
Quant à l'abbé Mariette, un autre de ses complices en célébrations de messes noires, en cérémonies sacrilèges et en
Weitere Kostenlose Bücher