La chambre ardente
c'est moi qu'on brûlera !
La Filastre fut en effet condamnée à être brûlée vive après avoir imploré le pardon de Dieu devant Notre-Dame.
Comme il est de règle après le jugement, on la soumet à la question.
On serre les brodequins, on enfonce les coins. Elle hurle. Elle parle. Elle reconnaît qu'elle s'est rendue en Auvergne et en Normandie chez le paysan Galet, parce qu'il lui fallait des poisons que réclamait Mme de Montespan pour faire mourir Mlle de Fontanges et reconquérir l'amour du Roi.
Puis, les jambes brisées, les brodequins desserrés, alors qu'on la reconduit à son cachot, elle dit qu'elle n'a parlé que pour que l'on arrête le supplice.
À quel moment a-t-elle menti ?
Elle est brûlée vive le lendemain en place de Grève.
J'ai revu ce jour-là Nicolas Gabriel de La Reynie.
Il est resté longtemps silencieux, puis a murmuré que Dieu seul pouvait connaître toute la vérité.
Et que les hommes restaient dans l'ignorance des desseins de Dieu.
Il murmura que le bourreau qui avait attaché la Filastre au poteau du bûcher avait été autrefois l'amant de la Voisin. Et qu'il lui arrivait parfois de trancher la main d'un pendu pour la donner à la devineresse, car on prétendait que c'était une « main de gloire » permettant de gagner au jeu !
Puis le lieutenant général de police ajouta que le Roi venait de décider de suspendre tous les procès qui devaient se tenir devant la Chambre ardente :
– Il est certains noms qu'on ne doit pas entendre.
XII.
Un abîme de crimes
Le Roi avait choisi d'imposer silence et, naturellement, Illustrissimes Seigneuries, Nicolas Gabriel de La Reynie respecta la décision du souverain.
Durant plusieurs semaines, il se terra comme pour ne pas céder à la tentation, et il ne répondit à aucune des missives que je lui faisais parvenir, l'invitant à me rendre visite.
Je ne le vis pas non plus dans les maisons que je fréquentais, ni à la Cour où je me rendais, soucieux de recueillir les rumeurs et de vous les transmettre.
Je fus surpris d'abord par la haine – le mot n'est pas exagéré – qui désormais s'attachait au lieutenant général de police, comme si le choix du Roi d'en finir avec les procès de la Chambre ardente valait pour lui condamnation.
Tous les gens de condition qui avaient tremblé se répandaient en sarcasmes et en imprécations.
J'ai relu les Relations que je vous ai alors adressées. J'y écrivais :
« La réputation de Monsieur de La Reynie est abominable. On l'accuse d'avoir trompé le Roi et d'avoir créé de toutes pièces des machinations et des cabales qui n'existaient pas, afin de se grandir aux yeux de Sa Majesté. On se moque de sa prétention d'interdire aux devineresses d'exercer leurs talents, et on dit que, si cette ordonnance était respectée, il faudrait enfermer toutes les servantes du royaume qui sont friandes de prophéties quant à leur vie, sans oublier leurs maîtresses qui ne rêvent que de montrer leurs lignes de la main ou de consulter leur astrologue. »
Je notais qu'on osait moins que jamais accuser la marquise de Montespan alors même que s'affermissait le règne de Mme de Maintenon, austère et dévote, et qu'on assurait que le Roi avait, pour mieux contenir ses passions et ses vices, décidé de l'épouser. Et les jésuites veillaient à le conduire à l'autel de ce mariage censé rendre vertueux un souverain qui avait toujours cédé à la tentation.
Il est vrai que Mme de Montespan était devenue une grosse femme à la peau ridée, que la belle Mlle de Fontanges, après une grossesse douloureuse, n'était plus qu'une « invalide » de l'amour, et que Louis XIV lui-même, édenté, n'était plus le jeune Roi virevoltant sur scène et montrant à la Cour ses jambes dont les courtisanes disaient qu'elles étaient « les plus belles du royaume ».
Commentant ces faits pour vous, Illustrissimes Seigneuries, j'écrivais au Doge de notre Sérénissime République :
« Bien des particularités, aussi curieuses qu'importantes, mériteraient d'être rapportées si la prudence ne prescrivait pas la réserve et ne commandait d'en remettre la relation à un autre temps. »
Cette prudence et le vague de mes propos ne s'expliquaient que par la certitude où j'étais que toutes mes correspondances, avant de vous être acheminées, étaient ouvertes et lues par le Cabinet noir de la poste royale.
Mais un autre temps est venu et j'ai pris toutes précautions pour
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