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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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de chambre, ceux dont les blessures n'avaient pas affecté le sens de l'équilibre, y assistaient. Le prêtre officia d'une voix monocorde. Depuis combien de temps enchaînait-il ainsi service funéraire sur service funéraire?
    J'appris de Penanster qu'il avait d˚ longuement insister auprès du prêtre pour qu'il accept‚t de dire cette messe pour un suicidé. Au milieu du service, Marguerite apparut, longue silhouette au visage dissimulé dans un foulard, et elle vint s'agenouiller au dernier rang.
    A la fin de l'office, nous sortîmes tous ensemble. Penanster, qui nous précédait, s'arrêta dans le couloir qui nous reconduisait aux chambres et se retourna pour nous faire jurer avec lui qu'aucun d'entre nous ne mettrait 'fin à ses jours. Le corps fut ensuite enlevé pour l'enterrement qui devait avoir lieu à Marnes-laCoquette. Il y a comme ça des lieux dont le nom ne colle pas à toutes les circonstances Weil proposa que nous fassions une demande de sortie pour le 14 Juillet.
    L'idée ne m'enthousiasmait pas. Penanster considéra qu'il était temps d'affronter le monde. Pour Marguerite, il était encore bien trop tôt.
    La question vestimentaire fut tranchée par la décision de sortir en uniforme et bandeaux. J'avais pu récupérer mes effets militaires. Par miracle, ils avaient abouti à la blanchisserie de l'hôpital et m'étaient revenus immaculés, alors que je m'attendais à les retrouver aussi défigurés que moi. Penanster se fit prêter l'uniforme d'un officier de cavalerie du premier étage. Weil ne parvint pas à mettre la main sur un uniforme d'aviateur et se coula finalement dans celui d'un lieutenant d'infanterie.
    Les manches de sa vareuse lui remontaient à mi-bras, et son pantalon avait peine à recouvrir ses chaussettes.
    L'escadron des " naufragés " se mit en marche vers les onze heures du matin. Je n'ai pas le souvenir d'avoir connu, à aucun moment de ma vie, une peur aussi intense. Même avant mes opérations les plus graves, je n'ai jamais ressenti une telle détresse, un tel vertige. C'était comme si l'on me demandait de traverser Paris de toit en toit.
    En descendant vers la Seine, Penanster, décidément le plus présentable de nous trois, marchait devant, tête haute. Puis Weil, le regard à
    l'horizontale. Je fermais la marche, les yeux obstinément rivés sur les plaques d'égout.
    Le ciel, d'un bleu délavé, semblait brassé par des vents d'altitude.
    Un vieil homme qui rentrait chez lui après sa promenade matinale s'arrêta sur le seuil de
    son immeuble. Il nous détailla lentement l'un après l'autre, puis il souleva son chapeau pour nous saluer. Je n'avais jamais réalisé que l'air pouvait être aussi abondant. Au point de devenir oppressant, comme tout élément qui s'impose au-delà du nécessaire.
    Paris semblait désert. Des femmes, quelques femmes, des personnes ‚gées, comme si tout un pays était parti quelque part.
    A cinquante mètres, un bataillon d'enfants emmenés par une jeune femme blonde se dirigeait droit sur nous. Il était temps de renoncer. Je tirai mes camarades par la manche. Mais Weil était décidé à s'acheter un croissant. On eut beau lui expliquer que le pain, déjà, se faisait rare, il s'obstina, comme pour donner un but à notre promenade. Une boulangerie faisait le coin du boulevard. La devanture était vide; la boulangère nous apparut de dos, astiquant son présentoir. Weil pénétra le premier dans la boutique avec nous sur ses talons, collés à lui comme des wagons à une locomotive. La femme se retourna. Les yeux exorbités, elle l‚cha son chiffon et une miche de pain noir qu'elle tenait de l'autre main. La miche roula pour s'immobiliser aux pieds de Weil. Sans lui laisser le temps de la ramasser, la boulangère se précipita pour reprendre son bien, comme on arrache son enfant des mains d'un étranger. La miche blottie dans ses bras, elle recula jusque derrière son
    comptoir. Penanster s'avança, faisant mine d'ignorer son effroi, et lui demanda très poliment
    - Trois croissants, je vous prie.

    - Des croissants, des croissants! Vous n'y pensez pas! répondit-elle. J'ai que du pain noir, deux miches et déjà vendues.
    Puis elle conclut en nous dévisageant une dernière fois
    - Z'êtes pas allemands, au moins?
    Nous tourn‚mes les talons, et Weil se mit à rire à gorge déployée. Je tremblais de tout mon corps comme si l'hiver entier venait de s'abattre sur moi et suppliai mes amis de rentrer. Penanster et Weil me

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