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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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par la guerre des hommes.
    Du jour o˘ elle nous croisa dans le couloir circulaire, elle ne reparut plus. Sans doute avaitelle modifié son heure d'escapade fugitive dans ce couloir qui donnait sur le boulevard de PortRoyal.
    Cette femme préoccupait chacun d'entre nous plus que nous ne le laissions paraître aux autres. Nous faisions cette guerre pour nos femmes et nos enfants, et cette présence féminine à nos côtés, dans cet hôpital, éveillait en nous un double sentiment négatif - d'échec par rapport à notre mission, et d'impuissance à ch‚tier l'ennemi qui nous avait entraînés dans cette guerre.
    Nous savions qu'une action commune de tous trois dans sa direction l'effraierait, de même qu'une démarche un tant soit peu offi cielle par l'entremise des infirmières risquait de conduire à son éloignement.
    Nous convînmes de déléguer Penanster, dont nous pensions que les mutilations n'avaient en rien altéré la distinction. Il n'était pas le moins atteint, mais ses blessures lui avaient laissé un profil droit presque intact, ce que nous constations avec envie, car il conservait un témoignage de ce qu'il était avant sa mutilation.
    Nos blessures ne pouvaient qu'effrayer cette femme qui se réfléchissait en nous, miroirs de son infortune, mais lorsque, après des jours d'attente et de guet, elle sortit et se trouva devant Penanster, elle ne se déroba point.
    - Nous formons, lui expliqua-t-il, un club d'officiers qui compte à ce jour trois membres actifs et volontiers bienfaiteurs. Nous nous sommes aperçus qu'il y manquait une femme. Voulez-vous en faire partie?
    Pour toute réponse, elle nous adressa un sourire chaleureux, le sourire immaculé d'une bouche totalement épargnée, comme ses yeux et son front.
    Elle était comme un parterre de roses saccagé par le milieu. Elle avait été
    touchée au nez et aux pommettes, et la déflagration lui avait également crevé les tympans car, comme Penanster poursuivait la conversation, elle continua de sourire, du sourire de ceux qui vivent dans un monde à part.
    Penanster comprit alors qu'elle était sourde et ne pouvait que lire sur les lèvres. Lui seul avait une bouche intacte, o˘ les mots prenaient forme. Je compris aussitôt que ni Weil ni moi ne pourrions jamais nous entretenir avec elle, les mouvements de nos lèvres étaient devenus sans signification car le son des mots reconstitués tels que nous les formions ne parviendrait jamais à son oreille.
    Dans le langage qui commençait à s'instituer entre elle et Penanster, notre ami s'étonna de sa présence parmi nous. D'une voix à la dou ceur tiède qui faisait paraître encore plus injuste sa blessure, elle nous conta alors son histoire. Ebahis, appuyés les uns sur les autres, nous l'écoutions, intimidés par cette grande femme au charisme inaltéré.
    Vers la fin de 1915, on manquait d'infirmières. Marguerite s'était portée volontaire. Elle était à cette époque aussi belle qu'inutile. Son père était un orfèvre fortuné, et elle ne manquait pas de prétendants, tous réformés ou embusqués. Elle rêvait de s'éprendre d'un homme courageux. Elle fut affectée d'abord dans un hôpital de l'arrière, o˘ sa beauté créa un tel trouble chez les convalescents aussi bien que chez les médecins que la situation devint insupportable. Sans imaginer probablement ce que serait la réalité, elle persuada un officier auquel elle s'était refusée de l'envoyer dans une antenne de secours de l'avant.
    Marguerite n'avait jamais eu peur, mais elle avait beaucoup pleuré et vomi les deux premiers jours devant les membres arrachés, les gorges tranchées, les éventrations de ces soldats qu'on amenait par paquets, entassés les uns sur les autres. Le troisième jour, les remontrances acerbes du médecin-chef avaient asséché ses larmes. Le quatrième jour, un obus allemand tomba sur la grande tente o˘ on colmatait l'hémorragie d'une jambe emportée à mi-cuisse. Elle passait les instruments qu'on ne pouvait plus nettoyer entre deux blessés.
    Le souffle emporta les blessés et les soignants : tous furent tués. Sauf Marguerite, défigurée et sourde.
    Marguerite devint naturellement le centre de nos préoccupations. Pour lui parler, nous nous adressions d'abord à Penanster, qui lui répétait nos propos par une lente décomposition des syllabes. Comme souvent chez ceux qui sont atteints de surdité, elle redoutait de parler trop fort, et nous ne nous lassions pas de cette voix douce qui

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