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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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ramenèrent.
    Comme, un peu plus tard, je les invitais à ressortir sans moi, ils me proposèrent une partie de cartes sous le prétexte que je les avais plumés la veille.
    Nous n'avons plus jamais évoqué le souvenir de cette déb‚cle.
    L'évocation de notre passé ne dépassait jamais le moment de la mobilisation.
    Weil parlait souvent de l'ivresse de l'altitude, quand il allait survoler les lignes allemandes. Il disait parfois ne pas être parvenu à maîtriser le tremblement de ses membres lorsqu'il s'installait dans l'habitacle après l'annonce d'un appareil ennemi. La peur dispa raissait dès que l'hélice se mettait à tourner. Dans les airs, il se sentait invincible, comme si la vie devenait irréelle. Aujourd'hui encore, il n'avait qu'une idée en tête: voler de nouveau.
    Comme j'aimais le faire parler de son expérience d'oiseau qui nous donnait de rares occasions de nous envoler, il se plaisait à décrire longuement cette jubilation procurée par unsentiment d'immortalité.
    Je ne l'ai vu amer qu'une fois.
    C'était l'heure de la sieste. Nous étions installés tête-bêche sur son lit, les pieds posés sur les barreaux, le nez en l'air, les yeux rivés au plafond.
    -- Tu sais ce que c'est, un corbeau dans un nid d'aigle? demanda-t-il d'un ton que je ne lui connaissais pas.
    Comme je ne répondais pas, il poursuivit -- C'est un juif dans l'aviation française.
    Il sentit probablement mon embarras et continua.
    Le plus grand privilège de l'aviateur, c'est son droit à une mort individuelle. Les fantassins, eux, meurent en troupeau. Et les membres de cette élite n'aiment pas le chat noir qui passe devant leur avion, même s'il a descendu autant d'Allemands qu'eux. Aucun de ces beaux messieurs n'a jamais cherché à prendre de mes nouvelles. C'est étrange, ne trouves-tu pas
    - Tu ne penses pas plutôt que c'est parce que tu ne venais pas de la cavalerie?
    - C'est peut-être ça.
    Penanster passait de longues heures dans des livres d'histoire. quand il ne lisait pas et qu'il n'était sollicité pour aucune partie de cartes, il sculptait une Vierge dans un morceau de frêne que le père d'un de nos compagnons de chambre lui avait procuré.
    Sa foi me tourmentait. Je ne concevais pas qu'on puisse rendre gr‚ce à la divinité qui nous avait relégués dans cette si pitoyable humanité. Je m'en ouvris à lui un jour que nous faisions notre tour de couloir. Il me répondit comme s'il cherchait à imprimer un ordre à l'existence qui avait été la sienne avant la guerre. Les choses ne sont rien en elles-mêmes, à
    moins qu'on ne les installe dans une logique qui leur donne un sens. Et Penanster savait sans aucun doute mieux que quiconque lier la cause et la conséquence. C'est ce qui le rendait souvent implacable dans ses jugements.
    Mais malgré cette apparente rigidité de conviction, il avait un grand respect des autres.
    Son enfance gardait, dans son souvenir, la même dureté que le granit du manoir familial. Son père était lieutenant de vaisseau. Son navire ayant été éperonné dans les brumes du petit matin, en mer de Chine, par un cargo transpor
    teur de caoutchouc, il avait passé quinze heures accroché à une pièce de bois avant d'être recueilli par une jonque de pêcheur.
    Il fut porté disparu pendant six mois, et la famille porta son deuil. Sa femme sombra dans une mélancolie qui paraissait irréversible. C'est alors qu'il réapparut, ramené au port de Lorient par un bateau de la marine marchande. Il mourut vingt-cinq jours plus tard, d'une pneumonie provoquée par quelques gouttes d'eau croupie dans ses poumons et entretenue par l'humidité de la mousson. Sa femme sombra alors pour de bon dans la folie.
    Penanster avait seize ans.
    Je compris qu'il existait une foi qui ne ressemblait à rien de ce que j'avais pu envisager jusqu'ici. Penanster ne cherchait aucune protec tion divine, sa relation avec le Créateur n'avait rien de celle du maître et de l'élève. Il distinguait les croyants, dont il s'honorait de faire partie, des superstitieux. " Les premiers donnent, disait-il. Les seconds donnent pour recevoir. " Il pensait que l'homme, dans sa quête de certitude, courait à sa perte, que Dieu lui avait attribué un degré de conscience qui lui permettait de comprendre les grandes questions, mais que jamais le Créateur ne lui avait assigné la t‚che d'y répondre, t‚che qu'il s'était réservée. C'est ce qu'il appelait le grand malentendu. Avec Penanster la religion prenait

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