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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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un sens bien différent de celui donné par les caricatures des enseignements et les comportements des dévots qui avaient croisé
    mon enfance et dont la foi n'était rien d'autre qu'une volonté de domination par la morale.
    Mais, pour moi, il était trop tard.
    Lorsque mon propre père avait senti sa dernière heure approcher, cinq ans plus tôt, il nous avait convoqués, ma sueur et moi, pour que nous trinquions à son départ. J'étais descendu à la cave en toute h‚te chercher une bouteille de champagne, tout en sachant que les premières gouttes allaient l'achever. Comme il portait la coupe à ses lèvres, je sus qu'il se préparait à ne plus jamais nous revoir, ici ou ailleurs. Jusqu'à l'ultime instant je crus qu'il allait faire appeler un prêtre, lui dont la mère suivait l'office deux fois par jour. Il n'en fut rien, et il s'éteignit sans la moindre pensée pour une vie éternelle. Il avait proclamé la fin de son existence devant ses enfants sans leur laisser le plus petit espoir de retrouvailles.
    Ne pas croire était pour lui la forme accomplie d'un courage dont il nous montrait la voie, en me détournant de la foi pour toujours.
    Nous n'évoquions jamais l'avenir entre nous, mais je commençais à y penser.
    Par petites touches successives. Il s'annonçait aussi douloureux que le passé. Ou plus. Le passé nous avait pris par surprise, comme la foudre sur un
    arbre tranquille. L'avenir s'approchait à petits pas de vieillard. Le futur immédiat paraissait le plus effrayant. Un jour ou l'autre, il faudrait se décider à sortir pour de bon. Je crois que mon renoncement à notre première tentative avait soulagé Penanster et Weil, mais nous savions qu'il faudrait y retourner. Nous avions, pour gagner du temps, l'alibi des nouveaux qui arrivaient par trains entiers de Verdun. La capacité d'accueil du service maxillo-facial avait été doublée. Nous avions de quoi nous occuper.
    Toutes .les semaines un nouvel arrivant tentait de se donner la mort en s'ouvrant les veines ou en se pendant au réservoir d'eau des toilettes.
    Nous, les anciens, devions persuader de pauvres gosses qui avaient perdu un ou plusieurs sens qu'il leur restait de bonnes raisons de vivre. Ils e tarderaient cependant pas à comprendre qu'ils n'avaient pas seulement perdu le go˚t, 'odorat, l'ouÔe ou la vue, mais devaient en outre ire une croix sur le désir.
    Penanster, dont chaque geste, chaque parole, traduisait le courage, en imposait aux ouveaux arrivants, tentés de s'apitoyer sur ux-mêmes, et Weil les bousculait par ses plaisanteries qui faisaient rire même ceux qui n'avaient plus de bouche. Il leur racontait qu'il vait intenté un procès aux services de santé à cause du nez en aluminium peint qu'on lui avait provisoirement installé, un nez droit comme celui d'une bonne soeur.
    L'histoire qui réjouissait le plus son auditoire était celle d'un lieutenant-colonel, fils de sénateur, légèrement blessé à la joue et qui avait exigé d'avoir une chambre individuelle - ce qui lui avait évidemment été refusé. Chacun se demandait ce qu'il faisait là, avec cette blessure à
    peine aussi large qu'une égratignure de ronce. Les femmes devaient lui manquer. Il avait remarqué qu'en haut de la cloison des toilettes, un trou large comme un oeil-de-boeuf donnait sur les latrines des infirmières. Un jour, il grimpa sur la cuvette, se hissa sur la pointe des pieds, et poussa un hurlement déchirant. Le lieutenant-colonel avait glissé au fond de la cuvette, se brisant le pied resté coincé dans l'orifice.
    Weil passait de l'un à l'autre comme un félin et savait repérer les plus fragiles. Il organisait des tournois de cartes, enseignait les échecs. II avait même reconstitué, dans un coin de la salle, une sorte de cabine d'aéroplane o˘ il apprenait des rudiments de pilotage aux nouveaux qui ruminaient entre deux opérations. Et aucun blessé ne pouvait repartir sans une maquette de biplan, en carton ou en bois.
    Un curieux événement rendit pour quelque temps consistance à mon avenir. Un matin, alors que je faisais ma ronde d'étage pour me dégourdir les jambes, un vacarme inhabituel se produisit dans la cage d'escalier. C'était un grand Noir, nu comme un ver, poursuivi par deux infirmières et un chirurgien empêtré dans son tablier. Le Sénégalais s'était réveillé pendant son opération, au premier coup de bistouri, et s'était enfui à toutes jambes. On le rattrapa de justesse au poste de

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