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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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pour l'amener là o˘ elle n'était pas décidée à se laisser conduire.
    Cette élégance étudiée, ce raffinement de l'homme que tout avait épargné me paraissaient insupportables, autant que ce jeu de séduction qui ne voulait pas finir.
    Au moment o˘ je sentais la haine me gagner, Clémence renvoya son prétendant de ce geste de
    la main qu'ont les femmes pour couper court. Le bell‚tre la raccompagna jusqu'à un taxi qui stationnait à quelques mètres de celui que j'avais réservé.
    Je m'engouffrai dans le véhicule en ordonnant au chauffeur de ne se laisser distancer à aucun prix. C'était une question de vie ou de mort. Voyant qu'il s'agissait d'une affaire de femme, il me répondit qu'il ne pouvait rien me promettre, et qu'il ne souhaitait pas accidenter son véhicule. Je lui promis une forte somme s'il parvenait à garder le contact ou une balle dans la tête, parole d'officier, s'il le perdait. L'homme, qui paraissait trop jeune pour avoir fait la guerre, prit ma menace très au sérieux, et se pencha sur le volant comme pour pousser son automobile.
    La poursuite dura près de dix minutes, sous un déluge de neige fondue. Nous étions à la veille de NoÎl. Le taxi s'immobilisa finalement place de Breteuil. Clémence en sortit et s'engouffra dans un bel immeuble, dont je guettai les fenêtres une à une dans l'espoir d'en voir une s'allumer.
    Aucune ne s'éclaira. Son appartement donnait sans doute sur l'arrière.
    qu'importe, je connaissais désormais son adresse et me sentis rassuré.
    Un petit banc en bois, à l'armature de fer, était posé sur le bord de la place, presque face à l'entrée de son immeuble. Je m'y installais tous les samedis et dimanches matin. Le premier
    samedi était encore un jour de neige, entre NoÎl et le jour de l'an. Il tombait de gros flocons gorgés d'eau. Je gagnai néanmoins ce qui allait devenir mon poste d'observation. Je m'étais enfoui dans un grand manteau de laine et dans une écharpe qui dissimulait mon visage.
    Les heures passèrent, sans qu'elle appar˚t. En revanche, les occupants de son immeuble remarquèrent ma présence et prirent un air préoccupé devant cet homme immobile sous la neige, probablement gagné par le froid. Pour ne pas attirer davantage l'attention, je quittai mon poste, dépité et de mauvaise humeur. Tout m'inquiétait. J'imaginais qu'elle n'avait été là que de passage et qu'elle n'y réapparaîtrait pas avant des mois. Ou encore qu'elle était alitée pour de longues semaines. Ou qu'elle était simplement partie en province.
    Le soir, comme chaque samedi, je rejoignis Weil à notre bistrot. Je lui trouvai l'úil plus vif que d'habitude. Lui, au contraire, me trouva éteint et s'en inquiéta. Il craignait une de ces dépressions qui menaçaient tous les grands blessés, et qui en conduisaient encore certains à se donner la mort.
    Je le rassurai sur ce point.
    - que se passe-t-il, alors? En quatre ans et demi je ne t'ai jamais vu comme ça!
    - Une femme.
    - Une femme! Tu es fou, ou quoi? Adrien,
    tu es mon ami, je sais ce que tu ressens et je vais être direct. C'est un luxe qu'on ne peut pas se permettre, tu comprends. Arrête tout de suite. Tu te prépares trop de souffrances. Tu sais ce que c'est, l'amour, pour des gens comme nous. C'est comme si on nous attrapait par l'intestin et qu'on nous le déroule jusqu'au bout. Tu te rends compte du plaisir! Parles-en à
    Penanster, il te dira la même chose que moi. Tu es comme un soldat pendant l'offensive Nivelle, tu n'as aucune chance.
    - C'est une longue histoire. C'est plus compliqué que cela, et arrête un peu de me parler de charcuterie.
    - Calme-toi. On va commander une bonne bouteille de cahors. Et puis quoi...
    Voyons le menu. Tiens, des tripes. Ce serait bien des tripes, non? Raconte-moi cette histoire, je te promets de ne pas te donner de leçons.
    Une fois que j'en eus terminé avec ce qui m'apparaissait soudain comme le récit d'un rêve, Weil demanda
    - Et qu'est-ce que tu vas faire?
    - Je vais la regarder sans qu'elle me voie. - Tu sais comment ça s'appelle?
    - Voir sans être vu?
    - Oui. C'est une forme de voyeurisme. Ou de démence.
    - Alors, je lui parlerai. - Pour lui dire quoi?
    - que je l'aime.
    - Et tu crois que, alors qu'elle t'a quitté en pleine possession de tes moyens, avec une tête séduisante et le prestige du futur héros, elle va se précipiter dans tes bras? Oublie-la, je t'en supplie, oublie-la; cette femme ne te mérite même pas.
    - Je croyais que

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