La chambre des officiers
était venue nous chercher aux Invalides pour nous conduire à
Versailles, o˘ allait se signer le traité de paix.
Un officier d'ordonnance nous accompagna pour guider nos pas au milieu de cette foule de messieurs en chapeaux, civils ou militaires, par lant des langues différentes. Je pensais qu'étaient réunis là, dans ce palais, ces hommes de toutes nations, vieux pour la plupart, qui décidaient seuls des guerres, et pour des motifs certainement très différents de ceux qui nous avaient .poussés au combat. J'étais moins impressionné par le fait de figurer aux côtés d'hommes d'…tat comme Clemenceau que par celui de voir les Allemands pour de vrai - et pour la première fois.
Je me mis à imaginer la détresse d'être à la fois blessé, comme nous l'étions, et vaincu, `comme l'étaient les Allemands. Mais cette réflexion ne s'accompagnait d'aucune compas. Sion, et je sentis un flot de bile m'envahir lorsque la délégation allemande pénétra dans la galerie des Glaces, avec une raide dignité destinée à contrebalancer le poids de la défaite.
La galerie des Glaces était disposée comme une cathédrale dont on aurait omis de surélever 'l'autel. L'officier d'ordonnance nous conduisit à un officier supérieur, lui-même chargé de nous
amener près du président Clemenceau. A mesure que nous approchions de la grande table officielle, mon appréhension grandissait comme celle d'un homme qui prend place dans une fosse d'orchestre alors qu'il se sait incapable de déchiffrer une note.
Clemenceau nous aperçut le premier. Nos blessures, autant qu'une certaine gaucherie, ne passaient pas inaperçues. Le président du Conseil s'avança vers nous, serra nos mains. Dans le brouhaha, je l'entendis qui disait: "
Je veux qu'ils voient et qu'ils sachent. " Puis, s'adressant directement à
nous: " Vous étiez dans un mauvais coin, ça se voit. " Une larme coula au coin de son oeil.
On nous installa sur le côté, comme des choristes au service du dimanche matin, face à la délégation allemande qui ne pouvait donc pas nous ignorer.
La cérémonie des signatures fut longue. Je dus pousser Weil du coude à deux reprises pour qu'il ne s'endorme pas. Ce fut une grande journée, et je m'en retournai convaincu que c'était bien la dernière des guerres qui s'achevait.
D'ailleurs, les journaux le disaient: ce qu'on avait imposé aux Allemands en cette belle journée de juin 1919 nous mettait à l'abri de la guerre pour toujours.
Malgré l'insistance de mon oncle Chaumon
tel, qui aurait souhaité que je profite plus longtemps de sa maison, je me décidai à regagner mon appartement dans le courant du mois d'octobre. Je revenais néanmoins passer toutes les fins de semaine à Nogent, heureux de retrouver la chaleur de mes cousines. Ma mère et ma soeur étaient reparties pour le Périgord, o˘ mon grand-père commençait à trouver le temps long.
Le père Nallet, qui avait eu vent de mon souhait de réintégrer mon poste, me convoqua en novembre. Il s'excusa presque de ne pas avoir été présent lors de mon entrevue avec Grichard : il était alors dans la Somme, o˘ il tentait vainement de retrouver la dépouille de son fils, disparu dans les marais pendant l'hiver 1916. La guerre lui avait pris cet enfant, et comme si cela ne suffisait pas, elle refusait à ses parents une sépulture qui l'aurait rapproché d'eux.
Il comptait sur moi pour le début décembre. On verrait plus tard quelle serait la nature exacte de mon travail.
C'est ainsi que je retrouvai mon appartement et ses fantômes.
Weil, fidèle à sa passion, trouva du travail chez un constructeur d'avions et n'avait qu'une idée en tête: voler de nouveau. Il travaillait près du Bourget et dormait sur place pendant la
semaine. Le samedi soir, il rentrait chez ses parents, près de Montmartre.
Nous passions régulièrement cette soirée du samedi dans des estaminets du quartier, à descendre de longues pintes de bière et fumer des cigarettes anglaises.
Penanster avait regagné son manoir breton. Je l'avais soupçonné de vouloir se retirer de ce monde en rejoignant les franciscains, mais, pour l'heure, il travaillait assid˚ment à mettre sur pied une association destinée à
regrouper et aider les camarades qui avaient fait le sacrifice de leur apparence. Weil pensait que sa générosité prendrait le pas sur la tentation de la réclusion. Penanster nous écrivait souvent. On sentait chez lui une jubilation de l'écriture, à laquelle
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