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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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Je vous voyais de trois quarts, vous m'avez vu sans me voir. Les gens défigurés ont ceci de particulier qu'on les remarque, qu'on ne voit qu'eux, et que, dans le même temps, on ne les voit pas.
    Alors, je vous ai suivie, comme un chasseur ou comme un maniaque. Je voulais que vous sachiez que, malgré les apparences, je suis resté le même.
    - Je suis tellement désolée. Si seulement j'avais pu savoir...
    - Il n'y a pas de place pour la culpabilité ni la commisération.
    Elle me semblait si belle dans ce contre-jour d'escalier, sa peau si blanche rehaussée par un regard qui déroulait des années de souvenirs.
    - Et votre pianiste, celui qui nous a valu cette première rencontre?
    - Il est mort.
    - C'est à moi d'être désolé.
    - Il est mort au front, d'une pneumonie, dans les premiers jours de l'hiver 14.
    C'est alors que me vint à l'esprit une étrange construction. Cette petite fille qui sautillait d'un pas sur l'autre dans la neige collante... Je n'entre-voyais pas de façon d'aborder le sujet sans risquer de blesser Clémence.
    Elle ne me posa pas la moindre question sur ma blessure, et c'était beaucoup mieux ainsi. Nous fîmes quelques pas dans la neige, précédés par la petite fille et sa gouvernante. Un long silence s'installa entre nous.
    Je lui demandai l'‚ge de sa fille.
    Ce n'était pas la vraie question, mais elle me fit la vraie réponse.
    - Elle est née en ao˚t 15; ce n'est pas votre sang qui coule dans ses veines.
    Le rêve n'avait duré que quelques instants. - J'aurais pourtant beaucoup donné pour qu'elle soit un lien entre nous, repris-je sourdement.
    - Elle ne l'est pas.
    La petite fille se retourna et accourut vers sa mère.
    - Tu le connais, ce monsieur?
    - Je le connais, mais retourne auprès de Mlle Lormot.
    La petite fille me sourit puis, sautillant d'un pied sur l'autre, rejoignit sa gouvernante. Clémence semblait accablée et je le lui fis remarquer. Elle reprit
    - Je voudrais tant que vous me pardonniez. - Vous pardonner quoi? Ce n'est pas vous qui avez envoyé l'obus. D'ailleurs, vous m'aviez déjà abandonné
    avant que je sois blessé. Il n'y a
    donc rien à regretter. Et puis, la chirurgie fait d'énormes progrès. Tenez, un de mes camarades a été blessé au visage au cours des dernières semaines de combat. Il a été trépané. On vient de lui greffer une côte sur le front.

    Sa blessure ne se voit pratiquement plus. Peut-être retrouverai-je un jour le visage qui vous avait attiré...
    - Je voudrais que nous restions amis. - C'est un os qu'on donne au chien.
    Cette phrase parut lui faire beaucoup de mal. Je m'en excusai
    - Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous blesser. Ce que je voulais dire, c'est qu'il ne me reste dans l'existence que des miettes, des frag ments de satisfaction. Ce n'est pas encore suffisant pour me faire vivre. Il m'arrive de combler les vides par la dérision. A vrai dire, je ne sais pas si je souhaite devenir votre ami. Nous ne l'avons jamais été. J'ai trois amis, aujourd'hui. Une femme et deux hommes qui sont passés par les mêmes souffrances, les mêmes humiliations. Nous formons une sorte de club, et je sais qu'aucun différend ne pourra jamais nous séparer.
    Comme la neige rendait le trottoir glissant, elle s'appuya à mon bras.
    - Je dois vous avouer quelque chose, ditelle. Après la mort du père de ma fille, j'ai voulu reprendre contact avec vous. En mars 15, exacte ment, j'ai envoyé un ami vous porter une lettre.
    Je lui avais parlé de vous. Je lui avais dit que je souhaitais vous revoir.
    Je n'étais pas certaine de l'adresse. Je ne me souvenais pas non plus de votre nom. Mais il me restait le souvenir de l'étage. Il l'a portée, mais était-ce la bonne porte? Sans doute pas, car vous m'en auriez parlé si vous l'aviez reçue.
    - Je ne suis revenu à mon appartement qu'en juin de cette année. J'ai fouillé chaque centimètre dans l'espoir de trouver une lettre de vous. II n'y en avait aucune.
    Elle semblait embarrassée et me sourit avant de replonger dans ses songes.
    - Et qu'écriviez-vous dans cette lettre?
    - Je vous demandais simplement pardon pour le mot que j'avais laissé en partant et je vous donnais l'adresse o˘ vous m'avez retrouvée.
    - Vous ne pouviez vous habituer à la solitude?
    - J'avais simplement envie de vous revoir, de retrouver cette attraction qui émanait de vous.
    - Je n'ai plus que la répulsion à vous offrir, j'en suis navré.
    - On ne vous a pas fait assez de mal, que vous cherchiez à vous en

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