Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
Vom Netzwerk:
tu en avais fini avec tes leçons.
    - Je ne veux pas que tu souffres. Il est encore trop tôt. Il y a des tas de choses à faire. Tiens, j'en ai une à te proposer. Je voudrais qu'on s'associe pour construire un nouvel aéroplane. Un avion pour transporter du courrier. Ou des marchandises. Un gros biplan. J'ai fait une maquette.
    Passe chez moi demain, si tu veux, je te la montrerai.
    - Demain, je ne peux pas. - Un déjeuner de famille? - Non, un rendez-vous galant. - Avec cette femme?
    - Nous avons rendez-vous, mais elle ne le sait pas.
    - Adrien, tu perds la boule.
    - Je lui parlerai ou j'en crèverai.
    Le dimanche matin la neige s'était remise à tomber à gros flocons épais et collants, feutrant l'atmosphère et recouvrant mon banc d'une bande de coton. J'avais rejoint mon poste dès
    sept heures du matin pour être certain de né pas la manquer. Deux heures passèrent. Ma bouche se desséchait sous l'effet des cigarettes que j'allumais l'une après l'autre. Je me décidai à pénétrer dans le couloir, que je traversai la tête haute, ignorant la concierge dont le visage s'aplatissait sur la vitre.
    Elle sortit de sa loge comme un pantin de sa boîte.
    - Vous cherchez quelque chose?
    - J'ai rendez-vous avec une dame, répondis-je avec le plus parfait aplomb.
    - quelle dame?
    - Une grande dame aux cheveux blonds. - Et vous ne connaissez pas son nom?
    - qu'importe son nom, je sais qui elle est. - Et vous avez rendez-vous à
    quelle heure? - Nous avions rendez-vous voilà cinq ans. - Vous vous fichez de moi?
    - Ai-je la tête de quelqu'un qui se moque? Un coup d'úil à mon visage la convainquit que non.
    - Bon, fit-elle, eh bien restez là, si ça vous chante.
    J'étais assis sur les dernières marches de l'escalier depuis trois bons quarts d'heure, lorsqu'une petite fille dévalant les étages, s'immobilisa à
    quelques mètres de moi. Elle devait avoir quatre ou cinq ans. Cela faisait des années que je n'avais pas fait face à un enfant, ces enfants pour lesquels nous avions combattu et que je connaissais si mal. Elle ressentit ma gêne et ses gestes prirent une étrange lenteur, comme si elle avait soin de décomposer ses mouvements. Cette petite fille en habits du dimanche m'impressionnait, avec ses grands yeux inquisiteurs.
    Elle s'approcha finalement à une marche de moi, et se mit à parler en inclinant légèrement la tête
    - Ils t'ont fait mal? - Oui, un peu.
    - C'étaient des Allemands? - Oui.
    - Mais maintenant, ils sont partis. - Ils sont partis.
    - Pour toujours?
    Avant que j'aie eu le temps de lui répondre, une jeune femme l'avait rejointe et prise par la main.
    Elle me salua, puis tira la petite qui n'arrivait pas à détacher son regard de mon visage, comme si elle cherchait à y lire une de ces pages de livres qu'on dissimule aux enfants.
    Une autre femme descendait l'escalier d'un pas lent et régulier. Avant qu'elle apparaisse, j'entendis le son de sa voix qui interpellait celle qui devait être la gouvernante de l'enfant. Je reconnus cette voix comme si elle m'était familière. La jeune gouvernante et l'enfant marchaient déjà
    dans la neige. J'étais debout, faisant face à
    l'escalier, et je ne sais pourquoi je joignis les mains lorsqu'elle atteignit les dernières marches. Comme elle s'apprêtait à me dépasser, je murmurai
    - Vous êtes en retard.
    Elle ne parut pas offensée, à peine surprise. - qui êtes-vous?
    - La première fois que je vous ai parlé, madame, vous n'avez pas eu la force de m'éconduire. Les circonstances n'étaient pas les mêmes, sans doute, mais peut-être me permettrez-vous d'user une nouvelle fois de cette liberté ?
    Elle réfléchit un court moment, les yeux fixés sur le marbre de l'entrée, puis demanda
    - Nous nous sommes connus avant la guerre, n'est-ce pas?
    - Je crois bien que nous avons partagé la dernière nuit de paix.
    Son visage s'illumina quelques secondes, puis s'assombrit sous l'effet de la réalité.
    - Adrien?
    - C'est moi, oui, même si les extérieurs ont un peu souffert.
    Elle resta muette de longues secondes. - Si j'avais su, je...
    - Ce n'est pas de cela que j'ai manqué. Nous avons été bien entourés. C'est seulement qu'après cette nuit-là, je m'étais pris à croire que... On m'a apporté votre lettre à l'hôpital; elle
    était suffisamment claire, elle ne laissait pas beaucoup d'espoir, et encore moins d'adresse. J'ai beaucoup pensé à vous durant ces cinq années.
    - Comment m'avez-vous retrouvée?
    - Au Requiem de Fauré.

Weitere Kostenlose Bücher