La chasse infernale
maîtres et des étudiants sont des hommes sérieux, qui se consacrent à une vie d’étude et de prière.
— C’est Braose que vous n’aimiez pas, hein ?
Le shérif releva la tête : ses yeux étaient pleins de larmes.
— Quand j’étais jeune, expliqua-t-il, simple gamin, un jouvenceau, je servais d’écuyer à mon père dans l’armée de Montfort. Avez-vous jamais rencontré le grand comte ?
Corbett eut un geste de dénégation.
— Il m’a adressé la parole une fois, reprit Bullock. Il est descendu de cheval et m’a donné une tape sur l’épaule. Vous vous sentiez important avec lui. Il ne faisait jamais de cérémonie et, quand il parlait, c’était comme écouter de la musique – on avait le coeur battant et le sang courait plus vite dans vos veines.
— Et pourtant vous êtes, à présent, un loyal serviteur du roi ?
— Le rêve s’est effrité, expliqua le shérif. Une partie de la vision a disparu, mais le bien du peuple du royaume est encore une idée qui en vaut la peine. Bien entendu, il y a Édouard, notre roi – bon, c’est bien là le drame, n’est-ce pas ? Dans sa jeunesse, le roi était comme Montfort. Mais venez, je bavarde comme une vieille commère. Allons-y.
Ils quittèrent tous trois l’hostellerie. Allées et rues étaient bondées, mais le shérif marchait d’un pas ferme et les passants s’écartaient comme des vagues devant un navire de haut bord. Il ne regardait ni à droite ni à gauche. Corbett fut amusé de voir à quelle vitesse étudiants, mendiants et même les puissants marchands laissaient prudemment le passage au petit homme. Ils s’arrêtèrent au coin de Bocardo Lane où les baillis attachaient des ribaudes au pilori. Corbett saisit Ranulf par la manche.
— Maltote est-il mort en paix ?
— J’ai fait ce qui était nécessaire, Messire.
Il jeta un regard en coin au magistrat.
— Et, quand ce sera mon tour, j’espère que vous agirez de même.
Ils reprirent leur route, suivirent Bullock hors les murs, traversèrent le pont-levis et entrèrent au château. Sir Walter les conduisit dans la grand-salle, et les installa derrière une table sur l’estrade pendant qu’il allait en se dandinant dans un coin remplir des gobelets de vin blanc.
— Excusez le désordre, dit-il en apportant le vin et en repoussant les os de poulet et les morceaux de pain qui s’entassaient devant eux. Amenez les prisonniers ! beugla-t-il au soldat de garde sur le seuil. Et dites-leur que je les dispense de leur insolence !
Puis il s’assit entre Corbett et Ranulf. Il prit une toaille et entreprit de s’essuyer les doigts. Il surprit le regard du magistrat.
— C’est la graisse, expliqua-t-il en faisant un geste vers les reliefs sur la table.
— Non, non, rétorqua Corbett, Sir Walter, vous avez...
Le magistrat hocha la tête.
— Ce n’est rien, simplement quelque chose que j’ai vu.
Il leva les yeux quand la porte s’ouvrit à la volée et que les soldats de Bullock entrèrent en traînant derrière eux une file d’étudiants déconfits.
— J’ai relâché les gueuses, chuchota Bullock. Je les ai fessées et les ai laissées partir. Elles semaient la discorde parmi mes hommes.
On fit aligner les écoliers ; leurs visages étaient sales et quelques-uns avaient des ecchymoses rouges et enflammées sur la joue ou autour de la bouche.
— Alors, vous êtes dégrisés à présent, non ? David Ap Thomas, sors du rang !
Le Gallois, portant toujours sa toge grise et élimée, les mains liées pour plus de sûreté, s’avança lentement. Il avait perdu toute superbe, la commissure de ses lèvres était entaillée, et son oeil gauche à moitié fermé enflait. Il commença, cependant, par protester.
— Je suis étudiant à Sparrow Hall, déclara-t-il. Je suis aussi clerc. Je peux réciter les Psaumes et je réclame le statut du clergé. Vous n’avez nullement le droit de me traîner devant une cour séculière.
— Ta gueule ! grogna Bullock. On ne va pas te juger.
Il le menaça du doigt.
— Quand j’en aurai fini avec toi, je te remettrai à la cour des proctors du collège. On te renverra au pays de Galles, mon gaillard !
Ap Thomas perdit de son arrogance. Corbett claqua des doigts et lui fit signe d’approcher.
— Messire Ap Thomas, commença-t-il calmement, hier soir un de mes hommes a été assassiné par le Gardien. C’est de la trahison et vous n’ignorez pas le sort réservé aux traîtres...
Ap
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