La chasse infernale
demanda ce dernier en claquant la porte.
— Nous avons négligé quelque chose, répondit le magistrat. Revenons à ce jour, au manoir de Leighton. Édouard arrive, fou de rage devant les proclamations du Gardien et ses cauchemars au sujet de Montfort fraîchement ravivés. Le roi s’en inquiète, nous devons donc nous en inquiéter – après tout, ne sommes-nous pas les serviteurs les plus loyaux du souverain, ses clercs royaux ? Nous venons à Oxford et commettons l’erreur d’entrer dans le petit jeu du Gardien. Pourtant, quand j’étais dans le jardin à contempler le ciel, je me suis souvenu de quelque chose que tu as dit à l’hostellerie. Quel sens a tout cela ? Qui s’en préoccupe ? Et l’étudiant, en bas, le jeune homme au blaireau, l’a prouvé.
Il saisit l’éclair d’étonnement dans les yeux de Ranulf.
— Lis ton Augustin : la réalité n’est que ce que nous ressentons. Augustin a ressenti Dieu, et tout à coup toutes ses réalités antérieures – la luxure, la débauche, la boisson et les femmes – ont disparu.
Corbett s’installa plus confortablement sur le lit.
— Qui sait ? Il peut arriver la même chose à Ranulf-atte-Newgate. Et c’est la même chose avec le roi : Montfort est un démon qui hante son esprit – le Gardien, à ses yeux, fait peser une terrible menace sur sa couronne et son pouvoir.
— Mais en réalité ?
— La réalité, reprit Corbett, c’est que les gens s’en moquent. Montfort est mort depuis presque quarante ans : le Gardien vise directement le roi. Nous devons poser la question de Cicéron : « Cui bono ? » Quel profit tire le Gardien de toutes ses manoeuvres difficiles et dangereuses ? Que veut-il vraiment ? Il ne déclenchera pas une rébellion. Il ne fera pas marcher des armées contre Londres et Westminster. Alors quel est son but ?
— Régler des comptes ? suggéra Ranulf.
— Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi les meurtres ? L’attaque contre moi ? Le désordre croissant à Sparrow Hall ?
Corbett prit un fil lâche sur la couverture.
— Ils ont reçu un avertissement, dit-il doucement.
— Un avertissement, Messire ?
— Le désordre, répondit Corbett. Le Gardien semble prendre grand plaisir aux désordres sanglants, et si c’est le cas, crois-moi, Ranulf, avant que beaucoup d’eau ne passe sous les ponts, il y aura un autre meurtre à Sparrow Hall !
CHAPITRE XII
— Ranulf était assis à l’entrée de l’église St Michael. Accroupi au pied d’un pilier, il surveillait la chapelle latérale, distrait par la peinture aux couleurs vives qui s’y trouvait. L’endroit n’était éclairé que par deux cierges allumés, qui brillaient comme les yeux d’un animal tapi dans l’ombre. Ils illuminaient la sinistre représentation murale du Christ au Jugement dernier, venu, avec ses anges, pour annoncer le destin éternel : vie ou damnation. Des squelettes fantomatiques, vêtus de linceuls, levaient des mains suppliantes vers les anges qui fondaient sur eux, épée levée. À gauche du Christ, de vieilles sorcières décharnées et des démons, chevauchant des chèvres, se précipitaient pour tourmenter, une ultime fois, des âmes avant que les portes de l’éternité ne soient à jamais closes.
— Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière !
Ranulf, par-dessus son épaule, jeta un coup d’oeil au petit point de lumière qui passait par la fenêtre de la recluse.
— Car la mort viendra ! entonna la femme. Elle se refermera comme un piège sur chaque âme vivant sur la terre !
— Retourne à tes prières, la vieille ! cria Ranulf.
— Et je prie pour toi, répondit Magdalena. Passerel a prié céans, mais il est mort ; l’assassin s’est faufilé comme une vipère, sans un bruit, même quand il a trébuché contre le décrottoir en fer sur le seuil de la porte. Alors prie !
— J’ai besoin de tes prières, rétorqua vivement Ranulf.
Son regard se posa, à travers la longue nef de l’église, sur l’énorme croix suspendue au-dessus du maître-autel. Il réfléchissait aux paroles de la recluse quand il entendit un bruit et se retourna, mais ce n’était qu’un rat qui sortait du cercueil paroissial posé sur des tréteaux dans le transept. Ranulf fit courir un doigt le long de ses lèvres. Il trouvait difficile de prier pour lui, sans parler du pauvre Maltote. Il se déplaça légèrement sur la gauche pour
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