La chevauchée vers l'empire
maître. Il vit les jointures du roi blanchir lorsque ses
doigts se crispèrent sur les bras du trône. Le jeune Mongol était las de ces
simagrées. Même les femmes aux bras lisses assises aux pieds du roi avaient
perdu de leur charme. Il avait envie de sortir dans l’air frais, de se baigner
peut-être dans la rivière avant que le soleil soit moins chaud.
Jelme, lui, demeurait impassible et la fixité de ses yeux
semblait inquiéter l’entourage de Wang. Les regards que les Koryons
échangeaient laissèrent totalement indifférents les guerriers qui attendaient
en silence une issue certaine. La ville de Songdo comptait moins de soixante
mille habitants et son armée pas plus de trois mille soldats. Le roi pouvait
prendre de grands airs, Djaghataï connaissait la situation véritable. Lorsque
la réponse vint enfin, elle fut sans surprise :
— Nous sommes honorés que vous acceptiez de prendre
sous vos ordres autant de nos jeunes gens, général.
Le roi avait une expression amère mais Jelme répondit par d’autres
propos bienveillants que Djaghataï n’écouta pas. Son père rappelait Jelme après
trois ans d’expédition dans l’Est. Ce serait avec joie que Djaghataï
retrouverait ses montagnes et il avait peine à contenir son impatience. Si
Jelme semblait accorder de l’importance au papier donné en tribut, Djaghataï
doutait que Gengis soit du même avis. En cela au moins, son père était
prévisible. Heureusement, Jelme avait exigé aussi de la soie et du bois dur. Cela,
c’était précieux.
Sans que quiconque ait apparemment donné de signal, la
cloche sonna de nouveau dans la cour, mettant fin à l’audience. Djaghataï
regarda les servantes ajuster de nouveau la robe du roi quand il se leva et se
placer derrière lui. Sentant le climat de la salle se détendre autour de lui, il
prit plaisir à se gratter de nouveau l’aisselle. Le retour au pays… Djötchi
rentrerait lui aussi, avec Süböteï. Djaghataï se demanda si son frère avait
beaucoup changé en trois ans. Âgé à présent de dix-sept ans, il avait atteint
sa taille d’adulte et Süböteï l’avait sans aucun doute bien formé. Djaghataï
fit craquer son cou avec ses mains en savourant d’avance les défis à venir.
Dans la partie sud des terres des Jin, les guerriers de la
troisième armée de Gengis buvaient jusqu’à tomber ivres morts. Face à eux, derrière
leurs hautes murailles, les habitants de Kaifeng se désespéraient. Plusieurs
Jin avaient accompagné l’empereur lorsqu’il avait fui Yenking trois ans plus
tôt pour se réfugier dans le Sud. Ils avaient vu de la fumée monter dans le
ciel, au nord, quand cette ville avait brûlé. Ils avaient cru un certain temps
que les Mongols étaient passés au large puis l’armée de Khasar avait fondu sur
eux, laissant sur les terres une empreinte de destruction tel un fer rouge sur
la chair.
Les rues de Kaifeng échappaient désormais à toute loi, même
au cœur de la ville. Ceux qui pouvaient se faire escorter par des gardes en
armes grimpaient en haut des murailles pour regarder l’armée qui les assiégeait.
Ce qu’ils voyaient ne leur apportait ni réconfort ni espoir. Pour les Jin, la
désinvolture même du siège de Khasar était une insulte.
Ce jour-là, le frère du Grand Khan se distrayait en
assistant à un concours de lutte entre ses hommes. La multitude de ses yourtes
n’était disposée selon aucun plan clair et ses vastes troupeaux erraient au
hasard, rarement perturbés par les longs fouets de leurs bergers. Les Mongols
avaient moins encerclé Kaifeng qu’ils n’y avaient établi leur camp. Pour les
Jin, qui les haïssaient et les craignaient, c’était humiliant de voir l’ennemi
s’adonner à des jeux alors que Kaifeng commençait à avoir faim. Si les Jin savaient
se montrer cruels, les Mongols étaient plus impitoyables qu’ils ne pouvaient le
concevoir. Les guerriers de Khasar se moquaient totalement des souffrances des
habitants de Kaifeng et leur reprochaient seulement de retarder la chute de la
ville. Ils étaient là depuis trois mois et faisaient preuve d’une patience sans
limites.
La ville impériale de Yenking était tombée aux mains de ces
rustres, que ses grandes armées n’avaient pu contenir. Ce sort ne laissait
aucun véritable espoir aux habitants de Kaifeng. Les rues étaient sous la coupe
de bandes sans pitié et seuls les hommes forts se risquaient à sortir de chez
eux. On distribuait des vivres depuis
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