La Chimère d'or des Borgia
il n’en manque pas !
— Ce qui serait surprenant, c’est qu’il n’en ait pas. Je ne vous cache pas que cet enlèvement me tourmente beaucoup plus que l’escapade et que j’ai peur. Pour la simple raison que, depuis des semaines, aucune rançon n’a été réclamée. Cela peut signifier…
D’une poche de son tailleur, Lisa sortit une lettre pliée en quatre qu’elle lança sur le bureau presque entre les mains de son vieil ami. Qui ne la prit pas tout de suite. Au contraire, il en écarta ses doigts comme s’il craignait de s’y brûler. D’une façon un peu enfantine, il murmura :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Lisez ! Vous verrez bien ! Je ne vous empêche pas de prendre votre mouchoir pour éviter de vous salir : c’est assez infâme !
— Voyons, fit Guy en chaussant ses lunettes : « Si vous souhaitez récupérer votre mari et sa maîtresse en état de marche, nous sommes tout disposés à vous faire ce plaisir contre la somme d’un million de dollars en coupures usagées. Vous n’aurez, je pense, aucune peine à les réunir, la banque Kledermann n’ayant rien à vous refuser. Il serait bon, d’ailleurs, qu’afin d’éviter les tracasseries douanières, fort actives en Italie et en Suisse, ladite banque charge son agence de Paris de vous les porter discrètement à l’adresse que nous vous indiquerons en vous faisant parvenir votre sleeping sur le Simplon du 8 janvier. Inutile de vous dire que vous serez surveillée tout le long du trajet et qu’une voiture vous attendra en gare de Lyon. Vous porterez une tenue de deuil discrète qui pourrait devenir d’obligation au cas où la police, quelle qu’elle soit, aurait le moindre soupçon de notre affaire. Étant donné les circonstances, vous pourriez être tentée de vous débarrasser d’un époux par trop infidèle, sans parler de la belle Pauline ! Auquel cas, nous aurions recours à une autre monnaie d’échange infiniment plus précieuse : vos enfants ! Recevez nos vœux de Joyeux Noël et de Bonne Année !… »
Guy abandonna le papier sur le plateau du ravissant bureau « Mazarin » et soupira.
— C’est assez répugnant, en effet ! Comment est-ce arrivé ? Par la poste ?… Non, c’est idiot ! Je sais trop qu’ici comme dans toute l’Italie il arrive que notre courrier soit lu avant nous.
— Un gamin venu par les rues l’a déposé à la cuisine et a filé sans demander son reste…
— Le coup classique ! Et que pensez-vous faire ? Obéir ?
Elle eut un sourire nerveux en levant sur lui ses yeux las.
— Me donne-t-on le choix ?
— Non, il est vrai, mais on pourrait peut-être transiger sur… le porteur de la rançon puisqu’il faut bien l’appeler ainsi. Pourquoi pas moi ? On m’a si souvent répété que je faisais partie de la famille ! Et vous avez une mine affreuse. Qu’en sera-t-il après ce calvaire que l’on veut vous imposer ?
— Je sais, mais je pense que mon humiliation… ma douleur aussi – pourquoi le dissimuler ? – en voyant mon époux et cette femme ensemble doivent faire partie du scénario. À moins que le dégoût ne vienne à mon secours. Auquel cas, il me restera le divorce !
— Vous savez que c’est impossible ! Le divorce est interdit en Italie à moins d’une dispense papale. Vous êtes croyants tous les deux, même si vous n’êtes pas des modèles de dévotion. En outre, vous avez trois enfants…
— Quatre ! Je suis enceinte de plus de trois mois ! De là ma mauvaise mine !
— Doux Jésus !
Quittant le siège de son bureau, Guy en fit le tour, attira l’un des fauteuils visiteurs près de celui de la jeune femme pour prendre ses mains dans les siennes.
— Mais vous êtes gelée ! Et vous tremblez ! Attendez !
Après l’avoir munie d’un verre d’armagnac dont il avala lui aussi une ration, il revint s’asseoir près d’elle et reprit ses mains.
— Je refuse de vous laisser partir dans cet état. Il faut trouver un moyen d’entrer en contact avec ces gens pour leur dire ce qu’il en est !
— En admettant que nous y arrivions, cela ne fera peut-être que leur faire plaisir… Ce chiffon respire le sadisme…
— Qui pourrait vous remplacer ?… Si vous ne voulez pas de moi ?
En dépit de sa situation dramatique, Lisa se mit à rire.
— Vous, vous avez dans la tête de rééditer l’idée de Marie-Angéline (16) quand Aldo était aux mains de ce malade… Je dirais qu’elle s’en était tirée plus que brillamment mais les miracles ne se
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