La Chimère d'or des Borgia
Gulbenkian la voulait à tout prix !
— Autrement dit, elle vous a coûté la peau du dos ?
— Oui, mais je ne regrette rien. Elle en vaut la peine !
— Cela signifie que vous la gardez ?
— J’hésite ! À moins que je n’en tire un joli bénéfice. Gulbenkian était fou de rage !
— Pourquoi a-t-il cessé d’enchérir alors ?
— Allez savoir ? Pour l’instant, elle reste ici !
Repris par sa passion pour son métier et les pierres, Aldo se retrouvait lui-même, ressentant moins douloureusement sa rupture avec Adalbert. Il évitait d’y penser le plus possible. Tout comme il s’efforçait d’effacer de son esprit sa nuit avec Pauline. Peut-être rentrerait-elle bientôt à New York et lui n’avait plus aucune raison de se rendre à Paris ! Tant qu’elle y serait, tout au moins ! Et puis Lisa allait revenir. Avec elle tout serait plus facile ! Quant à Wishbone, s’il revenait le voir, il le recevrait avec toute l’amitié que sa gentillesse, sa candeur même lui inspiraient, mais il dépenserait toute son énergie à le dissuader d’acquérir la Chimère. Qu’il en fasse effectuer une copie ? Soit, puisque c’était réalisable, mais qu’il n’essaie surtout plus de mettre la main sur l’originale !
Quelques jours après l’accident vasculaire qui l’avait mené si près de la mort, Moritz Kledermann l’appela au téléphone. Après lui avoir assuré qu’il était revenu à une vie normale et qu’il allait sous peu lui restituer son épouse et ses bruyants petits corollaires, le banquier ajouta :
— Lisa m’a dit que vous cherchiez la fameuse Chimère des Borgia ?
— Oh, j’ai renoncé ! D’abord elle ne m’a jamais vraiment attiré…
— À cause de sa provenance ? Vous n’aimez pas le sulfureux César ?
— Qui l’aimerait ?
— Pas moi, en tout cas, et si j’ai un conseil à vous donner, c’est de la fuir comme la peste !
— Pourquoi ?
— C’est un bijou malfaisant ! Cela vous étonne de m’entendre prononcer ce mot, moi qui étais agnostique et hermétique à l’occultisme et à l’ésotérisme quand vous me mettiez vous-même en garde ?
— Pas vraiment, Moritz, fit Aldo avec une soudaine douceur. Après…
— … le drame affreux que nous avons vécu et que je ne cesse de me reprocher ! Si je vous avais écouté, j’aurais renvoyé loin de nous le rubis de la Folle et le chagrin ne me consumerait pas ! C’est pourquoi j’espère être écouté, moi l’incrédule, l’esprit supérieur, quand je vous supplie de ne pas chercher – même à approcher ! – la Chimère. Elle est redoutable.
— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— J’ai bien connu, jadis, le marquis d’Anguisola. Il tenait la Chimère de famille et, bien qu’il refusât de faire le rapprochement – je crois même qu’il en était fier ! –, il m’a raconté la vie de certains de ses aïeux et surtout des morts… des « accidents » pour la plupart mais qui pouvaient fort avoir été des meurtres déguisés. Il avait épousé une Américaine passionnée comme lui de bijoux.
— Je sais. Je connais sa famille : des gens charmants !
— Alors dites-leur que c’est une chance que ce bijou ne soit pas parvenu jusqu’à eux : Anguisola est mort brûlé vif et sa femme a été assassinée, ainsi que vous le savez, sur le Titanic pendant le naufrage.
— C’est étrange ! Je n’ai jamais entendu parler d’une malédiction quelconque. Pourtant cette Torelli qui la veut doit être superstitieuse en bonne Italienne ?
— C’est vrai, j’allais oublier : le sort fatal épargne ceux qui ont dans leurs veines quelques gouttes de sang Borgia. Cela ne vous amuse pas ? J’entends : venant de moi ?
— Surtout venant de vous, justement ! Mais je croyais que les Anguisola faisaient plus ou moins partie de la descendance ?
— Ils le croyaient aussi mais les bâtards insoupçonnés, cela existe !
Au bout du fil il entendit rire le banquier.
— Ne vous vexez pas. Je dois en avoir autant à votre service… et je suis un Helvète ! S’il y tient tellement, dites à votre cher cow-boy de laisser agir les magiciens de chez Cartier ! Ce sera mieux pour tout le monde !
Quand il eut raccroché, Aldo eut l’impression que le ciel venait de s’éclaircir et, en attendant sa femme, il se lança dans le travail à corps perdu.
Il ignorait encore que Pauline n’était jamais rentrée au Ritz…
9
Où la terre se met à tourner à l’envers
Quand, ce matin-là, Aldo
Weitere Kostenlose Bücher