La Chimère d'or des Borgia
faisait plaisir, car Aldo – qui pourtant ne se droguait pas ! – avait demandé un somnifère à son ami Graziani, le pharmacien.
— Il est indispensable que j’arrive à Paris avec les idées claires, lui avait-il confié. Alors donne-moi quelque chose qui ne m’abrutisse pas.
— J’ai ce qu’il te faut, à condition de ne pas en abuser. Un comprimé avec un verre d’eau en te couchant ! Ne t’en sers que si tu en as vraiment besoin. On s’y habitue très vite !…
— Sois tranquille !
Au wagon-restaurant, il expédia son dîner, ne prit pas de café et se hâta de regagner sa cabine où le conducteur avait préparé son lit. Une toilette rapide et, sans même s’accorder une cigarette, il avala un comprimé et se glissa dans ses draps. C’était la nuit, en effet, qui lui faisait peur. Elle était trop proche d’une autre qu’il avait vécue dans les bras de celle qui occupait alors toutes ses pensées. Comment pouvait-il en être autrement après avoir appris qu’elle avait disparu ? Mais où ? quand ? comment ? Il l’avait vue quitter la gare de Brigue et il était impensable que quelqu’un pût l’y attendre, puisqu’elle avait d’abord songé descendre à Milan. Et où pouvait-elle être à cette heure… en admettant qu’elle soit encore vivante ! Et pour quelle raison Tante Amélie l’avait-elle appelé en urgence ? C’était cette espèce de hantise à laquelle il voulait couper court, au moins durant ces heures de nuit où les choses prennent des dimensions effrayantes… Et, soudain, tout disparut, tout s’apaisa. Aldo tomba comme une pierre dans un profond sommeil…
Ce fut la douane franco-suisse qui l’éveilla en frappant à sa porte. Il sauta de son lit en pyjama et alla ouvrir, aussi alerte que s’il avait repris conscience une heure avant, et envoya un remerciement muet à Graziani. Son somnifère était vraiment du tonnerre ! Avec ce qui l’attendait à Paris, il serait peut-être difficile de ne pas y recourir à nouveau ! Mais dès l’instant où il pourrait prendre le problème à bras-le-corps, il comptait sur son goût du combat pour y remédier…
En arrivant en gare de Lyon, il s’engouffra dans un taxi et se fit conduire rue Alfred-de-Vigny avec l’impression réconfortante de rentrer chez lui. C’était presque aussi bon qu’à Venise, d’où Lisa s’absentait presque aussi souvent que lui. Dès l’entrée il fut accueilli par le sourire d’un Cyprien toujours imperturbable, comme si une tempête ne menaçait pas la maison.
— J’espère que Monsieur le prince a fait bon voyage ?
— Très bon, Cyprien, merci ! Madame la marquise est…
— Dans le jardin d’hiver, comme d’habitude !
Comme d’habitude ! Tellement agréable à entendre !
— Et M lle Marie-Angéline ? fit-il, étonné de ne pas l’avoir vue surgir plus ou moins excitée.
— À l’église ! Elle a tenu à se rendre au « Salut » !
Aïe ! Cette subite soif de prières supplémentaires était inquiétante… mais il ne fallait pas faire attendre Tante Amélie !
Un instant plus tard il était dans ses bras, un peu rasséréné. Elle avait eu pour lui le même sourire que de coutume et son baiser chaleureux à souhait. Sans compter la bouteille de champagne et les flûtes de cristal ! Aldo s’assit.
— Dites-moi tout maintenant ! Pourquoi m’avez-vous appelé ?
— Pour que tu répondes à quelques questions. Les miennes bien sûr, mais aussi celles que Langlois va venir te poser tout à l’heure.
— Des questions de Langlois ? Ici ?
— Afin de t’éviter d’aller y répondre Quai des Orfèvres. C’est un ami, tu sais ?
— Que veut-il savoir ?
— La vérité ! Du fait que vous avez pris le même train, Pauline et toi, on en a déduit que vous étiez partis ensemble !
— Pour Venise ? Il aurait fallu que je sois devenu complètement dérangé, non ?
— Si… et tu ne l’es pas. Pourtant vous vous êtes bien embarqués sur le Simplon le même jour à la même heure ?
— Exact, mais je ne le savais pas.
— Comment cela ? Ce n’était pas convenu entre vous ?
— En aucune façon ! Tante Amélie, vous me connaissez assez cependant ! Emmener Pauline à Venise, autant dire chez moi, et pour y faire quoi ? La cacher dans un coin tranquille, pourquoi pas dans une île de la lagune afin de pouvoir filer le parfait amour avec elle ? Quasiment sous les yeux de ma femme ?
— Mais enfin tu l’y as rencontrée ?
— Ça, oui, je l’admets ! La
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