La Chute Des Géants: Le Siècle
vers l’atelier
des roues. Grigori chassa ses soucis de sa tête et se prépara à une nouvelle
journée de travail. L’usine Poutilov fabriquait plus de trains que jamais. L’armée
craignant que des wagons et des locomotives ne soient détruits par les
bombardements, elle avait passé commande de matériel de rechange dès le début
des hostilités. L’équipe de Grigori avait reçu l’ordre d’accélérer la
production.
Il se retroussa les manches en
entrant dans l’atelier. Celui-ci était minuscule et la forge, qui le
réchauffait déjà en hiver, le transformait en fournaise l’été venu. Le métal
grinçait et résonnait tandis que les tourneurs le façonnaient et le
polissaient.
Il vit Konstantin debout devant
son tour. Son attitude lui fit froncer les sourcils. À en juger par son
expression, il cherchait à l’avertir qu’il se passait quelque chose d’anormal.
Isaak eut le même sentiment. Plus vif que Grigori, il s’arrêta net, l’agrippa
par le bras : « Que… ? »
Il ne put achever sa question.
Une silhouette en uniforme vert
et noir jaillit de derrière la forge et frappa Grigori au visage avec une
masse.
Il chercha à esquiver mais réagit
avec un temps de retard, et, bien qu’il se soit baissé, la tête en bois de la
masse le frappa à la pommette et le jeta à terre. La douleur lui vrilla le
crâne, il poussa un cri.
Il lui fallut quelques instants
pour reprendre ses esprits. Levant la tête, il découvrit le corps bedonnant de
Mikhaïl Pinski, le commissaire de police.
Il aurait dû s’en douter. Il s’était
tiré à trop bon compte de leur bagarre de février. Les flics n’oubliaient
jamais ce genre de chose.
Il vit Isaak aux prises avec Ilia
Kozlov, l’acolyte de Pinski, épaulé par deux autres policiers.
Grigori resta à terre. Inutile de
riposter s’il pouvait s’en dispenser. Que Pinski savoure sa vengeance,
peut-être s’en contenterait-il.
Cet espoir s’évanouit
immédiatement.
Pinski leva sa masse. Grigori
reconnut son propre instrument, un outil qui lui servait à enfoncer les
gabarits dans le sable de moulage. Elle s’abattit.
Il se jeta sur la droite mais
Pinski suivit son mouvement et le lourd outil de chêne frappa Grigori à l’épaule
gauche. Il poussa un rugissement de douleur et de rage. Pendant que Pinski
reprenait l’équilibre, Grigori se leva d’un bond. Son bras gauche pendait le
long de son flanc, inerte, mais le droit était indemne et il s’apprêta à
frapper le flic du poing, sans s’arrêter aux conséquences.
Il n’en eut pas le temps. Deux
silhouettes en uniforme vert et noir qu’il n’avait pas remarquées surgirent
soudain, l’empoignant fermement par les bras. Il tenta de se dégager, en vain.
Les yeux voilés de fureur, il vit Pinski lever à nouveau la masse. Le premier
coup le frappa au torse et il sentit ses côtes craquer. Le suivant, plus bas, l’atteignit
au ventre. Il se plia en deux et vomit son petit déjeuner. Un troisième coup
lui cogna la tempe, lui faisant perdre connaissance pendant quelques instants.
Quand il revint à lui, il était solidement encadré par deux policiers. Isaak se
trouvait dans la même situation que lui.
« Alors, on est calmé ? »
demanda Pinski.
Grigori cracha du sang. Son corps
était une boule de souffrance et il était incapable de penser. Que se
passait-il ? Pinski le détestait, mais cela ne suffisait pas à expliquer
la violence de cette agression. Sans compter qu’il avait agi en pleine usine,
au milieu d’ouvriers qui n’avaient aucune sympathie pour la police. Il devait
être sûr de son affaire.
Pinski soupesa la masse d’un air
pensif, comme s’il s’apprêtait à porter un nouveau coup. Grigori se préparant
au pire, résista à la tentation d’implorer sa pitié. « Ton nom ?»
aboya le policier.
Grigori tenta de répondre. D’abord,
il ne sortit que du sang de sa bouche. Puis il réussit à articuler : « Grigori
Sergueïevitch Pechkov. »
Pinski le frappa à nouveau au
ventre. Grigori gémit et vomit une giclée de sang. « Menteur, dit Pinski.
Comment t’appelles-tu ? » Il leva à nouveau sa masse.
Konstantin s’écarta de son tour
pour s’avancer. « Officier, cet homme est bien Grigori Pechkov !
protesta-t-il. Ça fait des années qu’on le connaît tous !
— Arrête de mentir, répliqua
Pinski en levant la masse. Sinon, tu vas y goûter, toi aussi. »
Varia, la mère de Konstantin,
intervint. « Il ne ment pas,
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